Sur la trace des Bretons de Jersey

La seconde moitié du XIXe siècle a vu des dizaines de milliers de Bretons partir vers d’autres horizons : Paris, Le Havre et les Etats-Unis notamment. En plus de ces parcours migratoires de longue durée, voire définitifs, s’ajoutent les trajectoires des travailleurs saisonniers, là où les travaux des champs embauchent : la Beauce, mais aussi Jersey.

Carte postale. Collection particulière.

L’île anglo-normande a une véritable tradition d’immigration. Aux XVIe et XVIIe siècles, déjà, un grand nombre de huguenots français viennent y trouver refuge pour échapper à la répression religieuse. En 1850, la migration change de nature et devient économique. Jersey cherche des bras pour travailler dans la culture des primeurs. Les Bretons répondent massivement à l’appel. En 1891, ils sont ainsi plus de 5 500 à partir en direction de Jersey. Cette immigration agricole concerne d’abord le département des Côtes-du-Nord, et plus particulièrement les zones littorales du Trégor et du Goëlo. Dans les années 1920, près de 90% des passeports établis par la préfecture des Côtes-du-Nord avaient Jersey pour destination. La plupart d’entre eux embarquent à Saint-Brieuc sur les vapeurs de la ligne Le Légué - Saint-Hélier.

Cette migration est très largement saisonnière. La majorité des Bretons débarquent début mai sur l’île anglo-normande. Ils sont ensuite embauchés par équipe auprès des différents fermiers jersiais. Une fois la campagne d’arrachage des pommes de terre effectuées, de nombreux Bretons rentrent au pays au mois d’août pour effectuer la moisson. Quelques uns restent sur place jusqu’en septembre pour récolter les tomates. Le salaire, accumulé au prix d’un travail souvent harassant, est suffisamment élevé pour que les travailleurs saisonniers rempilent d’année en année.

Mais, à partir de 1920, les autorités jersiaises souhaitent réguler l’immigration sur l’île. Deux mois après le Royaume-Uni, un Aliens Restriction Act (loi de restriction des étrangers) entre en application à Jersey, le 17 février 1920. Tous les étrangers de plus de 16 ans doivent désormais se déclarer auprès des autorités pour pouvoir résider sur l’île. Des milliers d’Alien registration card (carte d’enregistrement des étrangers) sont alors établies, jusque dans les années 1960.

C’est cette source exceptionnelle que le site internet de Jersey Heritage, l’organisme chargé de gérer les archives publiques et privées de l’île, met à notre disposition. Classées par années de naissance des migrants, seules les cartes de ceux nés avant 1900 et jusqu’en 1915 sont disponibles pour le moment, à cause des délais d’incommunicabilité des archives. Ces cartes comportent un détail sur les résidents étrangers. On y trouve classiquement le nom, la date et le lieu de naissance, l’adresse « hors du Royaume-Uni », la profession, la date de délivrance du certificat, l’année de la première venue au Royaume-Uni, une photographie, ainsi que les différents documents justificatifs de l’identité. Tout ceci constitue une petite mine d’or pour l’historien qui souhaite étudier les migrations à Jersey, notamment dans un but prosopographique. Mais le généalogiste y trouvera également son compte, puisqu’il est possible d’interroger la base de données en plein texte en indiquant le nom de l’individu recherché.

Alien registration card. Jersey Heritage.

Last but not least, il y a toutefois un hic ! Si tout un chacun a accès à l’inventaire des cartes d’enregistrement des étrangers, il faut s’acquitter d’un abonnement pour pouvoir les consulter… Pire, il vous en coutera 5£ pour obtenir la reproduction d’une carte ! Même si l’on comprend bien que Jersey Heritage est un organisme privé, subventionné tout de même par les autorités jersiaises, – à l’inverse des archives départementales françaises qui sont des organismes publics – il est toujours dommage de voir des restrictions pécuniaires freiner la diffusion des archives et donc, par la même, la recherche en histoire. Messieurs les Anglais, payez les premiers !

Thomas PERRONO