Des Bretons chez l’Oncle Sam

Paris, Le Havre, ou bien encore la Beauce ne sont pas les seules destinations des Bretons qui partent en migration au cours des dernières décennies du XIXe et de la première moitié du XXe siècle. D’autres choisissent des horizons encore plus lointains, par-delà l’océan Atlantique. Ainsi, ils sont environ 10 000 à partir à la rencontre de l’Oncle Sam entre les années 1880 et 1970.

A New-York, un café qui en dit long sur l’origine des tenanciers… Carte postale. Collection particulière.

Le plus intéressant dans cette émigration bretonne vers les Etats-Unis c’est le territoire restreint des départs. En effet, contrairement aux autres destinations qui concernent – plus ou moins – tous les départements bretons, celle-ci est concentrée presque exclusivement sur les communes des Montagnes noires, dans un triangle situé entre Carhaix, Quimper et Loudéac. La commune de Gourin en est l’épicentre. L’histoire retient que le pionnier, Nicolas Le Grand, est un tailleur de Roudouallec parti en 1881 en direction de l’Amérique via les ports de Morlaix et du Havre. Les économies amassées, grâce à un salaire bien plus élevé au Connecticut, font sa renommée lors de son retour au pays en 1884. Ce qui n’aurait fait qu’amplifier les candidats au départ.

Au-delà de l’anecdote, cette histoire met en lumière l’importance du bouche à oreille dans la création de filières migratoires. Les lettres reçues par les premiers migrants poussent également les candidatures au départ : « Venez, c’est là-bas qu’on fait fortune, ici vous crevez de faim, mais là-bas on gagne de l’argent ». Pour autant, dans les premières décennies, l’émigration vers les Etats-Unis tient encore largement de la grande aventure, comme en atteste cette demande d’un père de famille de Gourin adressée au maire de la commune en mars 18891 :

« Monsieur le Maire, je viens d’apprendre par le commissionnaire de Gourin, que l’on demande des pères de famille pour aller en Amérique. Dans ce cas, je m’adresse à Monsieur le Maire pour savoir les renseignements qu’il faut pour y aller. Parce que je sais bien que dans les temps que nous sommes, il est très difficile d’arriver à nourrir sa famille avec le si peu de paiements que l’on touche. Dans ce cas, je me vois dans l’obligation de chercher une autre ressource pour nourrir ma petite famille. Alors, je m’adresse à Monsieur le Maire d’avoir l’obligeance de me dire de quelle manière que je peux arriver pour aller en Amérique. Seulement, le nécessaire me manque, c’est de l’argent pour faire le voyage. Si on fait les avances, je suis tout à fait décidé ainsi que ma femme et mes enfants [...] »

Peu à peu, les filières se structurent. Des recruteurs se déplacent pour faire des campagnes d’informations dans les bistrots des différents bourgs de la région. En 1905, la Compagnie Générale Transatlantique s’installe à Gourin. Puis en 1926, c’est au tour de l’United States Lines, d’ouvrir une agence dans la commune. Roudouallec accueille quant à elle la Cunard Lines. Tout ceci accélère le rythme des départs. Comme pour les pionniers, les trajets migratoires ont New York pour destination en passant par Le Havre. Marianne Pennec, une Gourinoise émigrée aux Etats-Unis au sortir de la Grande Guerre à l’âge de 19 ans, explique avoir rejoint le grand port transatlantique de la Manche par le train, puis s’être embarquée pour un voyage de « onze ou treize jours ».2 Dans les années 1930, l’amélioration technique des paquebots permet de réduire le trajet à six jours. Une fois arrivé sur place, EllisIsland est la principale porte d’entrée sur le sol américain, où les autorités enregistrent l’identité des migrants et refusent l’entrée de ceux qui sont en mauvaise santé. Cependant, un certain nombre de Bretons évitent cette étape, en arrivant aux Etats-Unis parmi les touristes. Au port, ils sont accueillis par des connaissances déjà installées. Ce système surnommé « petite mafia bretonne » permet aux nouveaux arrivants d’avoir directement des papiers, un logement et un travail.

Au début du siècle, un certain nombre de Bretons se font embaucher en tant qu’employés de maison auprès de la haute société américaine installée à Lennox, Massachussetts. Dans l’entre-deux-guerres, c’est l’industrie automobile qui devient leur principal employeur, qu’il s’agisse de Ford situé dans la banlieue new-yorkaise, et plus encore des usines Michelin de Milltown dans l’Etat du New Jersey, comme le raconte Marianne Pennec : « on était 3 000 employés chez Michelin. Il y avait peut-être 200 qui étaient Français, […] tous des Bretons »3. Elle-même y travaille pendant neuf ans en tant qu’inspectrice. Un travail appris sur le tas, tout comme sa nouvelle langue de travail, l’anglais. A la fermeture de l’usine en 1929, balayée par la Grande dépression, elle part en direction de New York avec son mari, où elle travaille dans la restauration en tant que pantry girl (commis de cuisine).

Carte postale. Collection particulière.

L’autre originalité de ce courant migratoire breton, c’est la persistance d’une forte demande des départs après la Seconde Guerre mondiale, jusque dans les années 1970. Il faut dire que la région de Gourin reste largement en marge de la modernisation bretonne des Trente glorieuses. On assiste alors à une sorte de chassé-croisé entre la première génération de migrants qui revient au pays pour passer ses vieux jours, et la jeune génération qui rêve à son tour de vivre sa part de l’American dream.

Thomas PERRONO

 

 

1 Témoignage repris dans un reportage radiophonique sur l’émigration de Gourin vers les Etats-Unis, le 1er avril 1995 sur France Culture, et conservé sur le site INA – L’Ouest en mémoire.

2 Ibid.

3 Ibid.