Un patrimoine breton à redécouvrir : Grande Guerre et ex-voto

Dans l’article qu’il consacre aux ex-voto dans le Dictionnaire du patrimoine breton, A. Croix rappelle que celui qui, « à la suite d’un vœu […], et après avoir obtenu l’intervention qu’il juge miraculeuse », peut effectuer « le geste promis » suivant différentes modalités : il s’agit parfois d’un pèlerinage – qui de ce fait ne laisse que rarement de trace, au-delà de quelques témoignages écrits –, le plus souvent l’offrande d’« un objet qui évoque les circonstances du vœu »1. Parmi ces circonstances, l’on pense bien sûr à la maladie, aux accidents et notamment, en Bretagne, aux « périls de mer » qui ont pu donner lieu à l’élaboration de maquettes qui ornent aujourd’hui encore nombre de chapelles de nos côtes. La guerre fait elle aussi partie de ces circonstances exceptionnelles ayant pu conduire à de tels vœux et, par conséquence, à ex-voto, quand bien même ceux-ci restent souvent plus discrets, car plus modestes, esthétiquement souvent moins élaborés et de ce fait moins valorisés.       

A Tréguier. Photo: Yann Lagadec.

Pourtant, insiste A. Croix, en se focalisant sur les seules maquettes et tableaux, « considérés comme plus précieux et mieux acceptés par l’Eglise que des objets à l’apparence trop évidemment magique », on se concentre sans doute sur quelques catégories – les milieux les plus aisés, des groupes – au détriment des gestes les plus anodins émanant de l’ensemble des couches sociales, tout particulièrement alors que la pratique des ex-voto atteint en Bretagne son apogée, justement « à la fin du 19e siècle et […] au moment de la Première Guerre mondiale ».

Les ex-voto de la Grande Guerre : à connaissance limitée, valorisation inégale

De manière significative, certains de ces ex-voto ont pu faire l’objet de quelques recherches, à défaut d’études poussées, à l’instar – une fois encore – des plus élaborés d’entre eux esthétiquement parlant, des mieux acceptés par l’Eglise aussi. Ainsi des vitraux que quelques familles ont pu léguer ici ou là à leur paroisse, à l’instar de celui donné à Saint-Sulpice de Fougères par une famille de la ville. On y voit trois poilus, dont un dans l’uniforme vert olive des troupes coloniales, tenant la hampe d’un drapeau, entourés de personnages aux costumes médiévaux. Il s’agit en fait des trois fils Ganzin, sortis vivants des combats, représentés au milieu d’une scène la libération d’Orléans par Jeanne d’Arc2. Le vitrail est ainsi l’occasion de souligner l’importance du culte johannique officialisé par la canonisation de la Pucelle en 1920, tout en rendant grâce à la nouvelle sainte de son intercession.

Les trois fils Ganzin sur un vitrail de l'église Saint-Sulpice de Fougères. Collection particulière.

De manière fort significative, un vitrail de la chapelle du Mont-Dol montre un fantassin et un marin à genoux offrant une maquette de navire à la Vierge : le vitrail ex-voto représente ainsi lui-même un de ces ex-voto offerts traditionnellement par les populations littorales... La légende est elle sans équivoque : « A Notre-Dame de l’Espérance, les pèlerins de la Grande Guerre, 1914-1918 ». Et l’on trouverait sans doute, dans telle ou telle église ou chapelle du littoral breton, le rappel du naufrage des navires perdus en Méditerranée par la Royale, dont une partie des équipages parvint en général à survivre : le Bouvet en mars 1915, le Léon-Gambetta en avril de la même année, d’autres plus modestes ensuite.  

En se focalisant sur ces seules – et rares – formes d’ex-voto les plus esthétiques, l’on risque cependant de passer à côté de l’expression beaucoup plus massive et diversifiée d’une forme de sensibilité religieuse particulière qui connait, nous l’avons vu, son apogée au moment de la Grande Guerre.  

Des formes plus modestes qui restent à étudier

A y regarder de plus près, les ex-voto liés à la Grande Guerre en Bretagne sont bien plus divers, souvent bien plus modestes aussi, cette modestie compliquant d’ailleurs leur étude. Le plus souvent en effet, tout juste une date permet-elle de faire le lien avec la guerre, rarement un nom. Il faut alors aller chercher dans les détails, les allusions plus ou moins explicites les rapports avec le Premier Conflit mondial pour connecter l’objet à l’événement, et lui redonner tout son sens en l’inscrivant dans une « culture religieuse populaire » de la guerre et de ses lendemains, entre remémoration et commémoration.   

Ainsi, par exemple, de la modeste croix implantée en 1927 par les Restif, de Domalain, en Ille-et-Vilaine, à quelques pas de la ferme familiale des Rochers : il s’agit, pour cette famille très croyante, de remercier Dieu d’avoir permis aux quatre fils de traverser cette épreuve sans qu’un seul ne soit tué. Pourtant, tous les quatre ont servi dans l’infanterie et passé des mois en première ligne, en France comme sur le front d’Orient, tous les quatre y gagnant la croix de guerre, et l’un, Melaine, séminariste, une promotion au garde de sergent3

En la basilique Saint-Sauveur de Dinan. Photo: Yann Lagadec.

La même logique est à l’œuvre lorsqu’un combattant ou un membre de sa famille décide de déposer une modeste et souvent très discrète plaque de marbre dans telle ou telle église en remerciement de l’intercession de la Vierge souvent. Sur l’autel de N.-D. des Vertus, dans la basilique Saint-Sauveur de Dinan, plusieurs de ces plaques rappellent les combats de 1914-1915 : « N.-D. des Vertus m’a sauvé à Charleroi, P. P. 1914 » dit l’une ; « N.-D. des Vertus, merci pour la protection accordée à mon fils, 1914 » porte une autre, tandis qu’une troisième se contente, plus sommairement, d’un « Merci – 1914-1915 ». Dans la même église, cette fois à proximité de l’autel dédié à Saint Roch, c’est un cadre de bois qui dit la « Reconnaissance à St Roch pour la protection à mon fils pendant la Grande Guerre 1914-1919 » d’un père ou d’une mère . A Tréguier, dans la cathédrale Saint Tugdual, une plaque portant « Merci à St Yves, 18 novembre 1918 », renvoie très probablement aux lendemains de l’Armistice et dit implicitement le soulagement d’une famille. A Saint-Guinoux, en Ille-et-Vilaine, c’est la base de la statue de la Vierge de l’oratoire Notre-Dame-de-la Garde qui porte plusieurs de ces plaques de marbres, dont une sur laquelle on trouve : « Merci à Notre-Dame-de-la-Garde, protectrice de nos soldats et Reine de la Paix, 2 août 1914-28 juin 1919 »4.

En la basilique Saint-Sauveur de Dinan. Photo: Yann Lagadec.

Ailleurs, ce sont des médailles qui ont été déposées par des combattants ou, plus certainement, d’anciens combattants revenus vivants de la Grande Guerre. On en trouve de nombreuses dans des lieux de pèlerinages de premier plan à l’échelle régionale, à Sainte-Anne d’Auray bien entendu, mais aussi à N.-D. de la Peinière, en Saint-Didier (Ille-et-Vilaine). Encore ne s’agit-il que des exemples les plus évidents : la sans doute moins fréquentée église Saint-Sauveur, à Rennes, en contient un certain nombre aussi. Et bien des médailles présentes dans certains de ces sanctuaires sont plus récentes, renvoyant aux guerres de décolonisation ou aux OPEX de ces 25 dernières années.

A Saint-Anne d'Auray. Photo: Yann Lagadec.

On pourrait ajouter à ces quelques exemples des bannières offertes à certaines églises paroissiales ou chapelles au lendemain de la Grande Guerre, en Basse-Bretagne notamment. Ainsi, par exemple, de celle offerte en 1919 à Notre-Dame de Kerluan par Marianne Suignard, de Châteaulin, en remerciement du retour de ses trois fils, Yves, Jean et Sébastien, reprenant en cela une pratique déjà attestée au lendemain de la guerre franco-prussienne de 1870-18715. Il y a aussi sans doute d’autres objets dont, je le disais, la vocation d’ex-voto et/ou le lien n’est pas toujours facile à faire avec le Premier Conflit mondial sans une enquête de terrain particulièrement fine.  

La Grande Guerre, mais pas seulement

D’ailleurs, si la Grande Guerre marque indéniablement un moment à part dans l’histoire des ex-voto, la pratique n’a pas pris fin pour autant dans les années 1920 ou 1930. Nous l’avons entrevu, les conflits suivants – Seconde Guerre mondiale, guerres de décolonisation, OPEX… – sont, eux aussi, marqués par de telles offrandes. L’on découvrira ainsi, pour n’en prendre qu’un seul exemple – justement parmi des maquettes ou tableaux de navires rappelant l’importance des fortunes de mer dans la vie des marins de la côte du Trégor – une plaque de marbre dans la chapelle N.-D.-de-la-Clarté, à Perros-Guirec, donnée par le lieutenant J.-P. G., renvoie aux combats de « That-Khé, oct. 1950 » et « Phuc-Yen, janv. 1952 » livrés par les légionnaires parachutistes du 1er BEP dont un insigne est associé au court texte (photo 6). 

En l'église N.-D.-de-la-Clarté, à Perros-Guirec. Photo: Yann Lagadec.

Ce que cela nous dit aussi implicitement, c’est que le recensement, l’étude de cette forme de religiosité reste encore très largement à faire pour cette période la plus récente de notre histoire, celle des 100 ou 110 dernières années. Si un travail comparable à celui de B. Cousin pour la Provence des 18e et 19e siècles n’est sans doute pas envisageable, du fait même de la modestie et de l’anonymat de la plupart des ex-voto ici concernés, la connaissance de cette forme particulière de religiosité, très marquée en Bretagne, y gagnerait indéniablement.

Yann LAGADEC

 

 

 

 

1 CROIX Alain, « Ex-voto », in CROIX Alain (dir.), Dictionnaire du patrimoine breton, Rennes, PUR/Apogée, 2000, p. 376-378.

2 Pour une représentation de ce vitrail, voir GUYVARC’H, Didier et LAGADEC, Yann, La Grande Guerre des Bretons. Image et histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 161.

3 LAGADEC Yann et RANNOU Yves, « De la mémoire commune aux mémoires particulières : monuments de pierre et de papier », in JORET Eric et LAGADEC Yann (dir.), Hommes et femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre, Rennes, SAHIV/ADIV, 2014, p. 350-351.

4 Une autre plaque indique : « Merci à Notre-Dame-de-la-Garde, paroisse de Saint-Guinoux, août 1944 », sans doute en remerciement des effets limités du siège de Saint-Malo dans cette commune du canton de Châteauneuf-d’Ille-et-Vilaine.

5 Parmi d’autres exemples, notons la bannière donnée à l’église de Bulat-Pestivien par « un officier des mobilisés ». On peut y lire : « Reconnaissance à ses protectrices, 1870-1871 ».