Une alerte sur la côte bretonne

La Grande Guerre est le premier conflit industriel à l’échelle mondiale. L’image n’échappe pas à cette mobilisation des ressources à la disposition des nations engagées dans le conflit et à cette surproduction puisqu’elle est utilisée, instrumentalisée et diffusée à grande échelle par tous les belligérants. Peintures, dessins, gravures, mais également photographies et films. Car la Grande Guerre correspond également à la démocratisation et à la circulation dans les tranchées d’appareils photographiques plus compacts, léguant ainsi aux familles des combattants, aux centres d’archives, des lots parfois impressionnants de clichés de soldats et civils impliqués dans le conflit. C’est aussi l’âge d’or de plusieurs studios et distributeurs cinématographiques, de Pathé et Gaumont pour la France à Ermolev et Drankov pour la Russie. La couverture du conflit, via les actualités comme les œuvres de fiction, fut large et les films qui en sont issus constituent donc une source précieuse pour l’étude de la Grande Guerre.

Carte postale. Collection particulière.

L’ECPAD, l'Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense, en donne un bon exemple à travers ses collections, parmi lesquelles on découvre un bref film, disponible en ligne, mettant en scène une alerte sur la côte bretonne. Filmé et monté par les opérateurs du service cinématographique de la Marine, structure largement moins connue que sa « sœur » de l’armée de terre pour laquelle nous disposons aujourd’hui de travaux détaillés1, il valorise la réactivité de la défense côtière française, combinant observation aérienne, surveillance et tirs de batteries depuis les côtes. Les intertitres de ce film muet (bien qu’accompagné de musique ou commenté lors de sa projection en salle durant le conflit) décrit l’enchainement des actions de cette défense côtière : un poste TSF transmet une information à un poste de la marine dans la rade de Brest tandis que des sous-marins ennemis auraient été repérés au large. Déjà le poste côtier s’agite, donne l’alerte, les officiers consultent leurs cartes. Des hydravions quittent alors la rade pour gagner les abords de la pointe Saint-Mathieu, que le spectateur finistérien reconnaitra sans difficulté sur ces images.

Les opérateurs mettent alors en scène la transmission de la position des navires ennemis via une bouée de correspondance, larguée par l’hydravion sur la batterie côtière. Une fois les coordonnées de l’ennemi transmises, c’est le branle-bas de combat. La section cinématographique de la marine filme alors avec détails et attention l’activité des servants, le matériel des pointeurs, et le tir des différentes pièces une fois l’ennemi à portée. Le spectateur contemporain est témoin de l’effort de valorisation déployé par les opérateurs – très bien décrit dans les travaux d’Hélène Guillot – pour valoriser le système de défense côtier. Le film se clôt sur l’envol des dirigeables de la Marine qui entrent en action.

La vocation de ce film, sans aucun doute diffusé dans une séquence d’actualité dans les cinémas hexagonaux, est tout d’abord de montrer à la population que la façade atlantique est à l’avant-poste d’un front non moins important : le front atlantique où se joue une bataille pour le ravitaillement entre les flottes britanniques et française d’un côté, et les U-boot allemands de l’autre. Il fait également la démonstration au grand public de ce qui est présenté comme une défense huilée et sophistiquée, défense contre la marine allemande. Cette présentation du fonctionnement des batteries côtières peut également avoir pour effet de rassurer les populations face à la menace navale ennemie, menace matérielle tout autant que psychologique pour les populations, mais pas des plus négligeables puisque les U-Boot peuvent mettre en péril la vie des marins bretons, servant dans la marine française ou sur des navires réquisitionnés, auxquels leurs familles pensent anxieusement en attendant leur retour.

Carte postale. Collection particulière.

Ce film donne donc également à voir un moment de l’histoire de la relation des Bretons aux forces navales et aériennes en pleine évolution dans cette Grande Guerre, de par la manière dont la marine met en avant ses compétences, son savoir-faire et sa capacité à défendre le territoire hexagonal, et ici le littoral armoricain. C’est donc une source non-négligeable pour l’histoire des relations d’une population avec l’innovation majeure qu’a été l’aéronautique, entre la naissance de celle-ci à la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XXe siècle, histoire retracée, notamment, par des historiens comme Thierry Le Roy2.

Gwendal PIEGAIS

 

 

 

 

 

1 GUILLOT, Hélène, Les soldats de la mémoire. La Section photographique de l’armée, 1915-1919, Paris, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017.

2 LE ROY, Thierry, Les Bretons et l’aéronautique des origines à 1939, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2002.