En Avant le Racing !
Si la Bretagne est une terre de cyclisme, elle est aussi une région de football comme en témoignent les nombreux clubs armoricains qui, régulièrement, font la une des quotidiens sportifs. Nombreuses sont d’ailleurs les structures aujourd’hui centenaires, preuve d’une implantation ancienne de ce sport, à l’instar de l’En Avant de Guingamp, fondé tout juste dix ans avant la grandiose épopée du Stade Rennais en Coupe de France.
Dans un excellent article démontrant – s’il en était encore besoin – combien le sport peut être un prisme pertinent pour étudier une société, F. Prigent explique comment le club de la sous-préfecture des Côtes-du-Nord se construit au début des années 1910 grâce à des réseaux essentiellement socialistes1. C’est en effet en 1912 qu’un instituteur, Pierre Deschamps, fonde un club omnisport « laïc », dimension qui a toute son importance dans une région où la question religieuse est traditionnellement sensible. Si la Première Guerre mondiale marque un tournant dans l’histoire de l’En Avant, c’est uniquement pour consacrer la prééminence du football car du point de vue de l’engagement, les convictions demeurent les mêmes. Ainsi, dans le noyau des dirigeants qui président aux destinées de l’équipe dans les années 1920-1930, on retrouve (déjà) le Maire de Guingamp, à savoir l’avocat, parlementaire et éphémère Sous-secrétaire d’Etat à l’éducation physique André Lorgéré, renversé par les manifestations du 6 février 1934, mais également le responsable départemental de la SFIO, et par ailleurs instituteur et responsable syndical, Georges Voisin.
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La première équipe de l'En Avant de Guingamp, en 1912, avec son fondateur, debout à droite, Pierre Deschamps. Carte postale, collection particulière. |
Pour ces hommes, comme pour bien d’autres qui mettent en place des stratégies analogues, l’implication dans un club de football est le moyen de concilier passion pour le sport et engagement politique. En effet, la pratique du ballon rond apparait bien vite comme le moyen d’ancrer chez les jeunes la culture socialiste, et accessoirement de contrecarrer l’influence de l’Eglise et des formations conservatrices, en l’occurrence le grand rival du stade Charles-de Bois. Déjà, le football dépasse largement les seules limites du rectangle de pelouse, un petit peu à la manière des frères ennemis de Glasgow, le Celtic et les Rangers, marqueurs de clivages confessionnels…
Toutefois, la comparaison avec l’Ecosse doit être menée avec précaution car dans un premier temps, le rectangle sur lequel les joueurs d’En Avant disputent leurs rencontres est plus de boue rocailleuse que de voluptueux gazon ! Loin des installations ultra-modernes d’aujourd’hui – d’aucun diront luxueuses – les joueurs se changent dans un hangar adjacent et font leur toilette d’après-match… dans un lavoir !
Mais ces conditions précaires n’empêchent pas le club de grandir et de se signaler par quelques « coups » qui l’installent sur la carte du football hexagonal. Et pour ce faire, le moyen idéal est assurément un brillant parcours en Coupe de France, comme l’atteste l’épopée de l’édition 1933-1934. En effet, l’équipe ne tombe qu’au cinquième tour, après un match héroïque disputé au Parc des Sports de Guingamp contre le grand Racing-Club de Paris et son gardien légendaire, l’autrichien Hiden, tenu alors comme le meilleur goal du monde. Véritable formation de « virtuoses », de l’aveu même de L’Ouest-Eclair, le Racing compte dans ses rangs de nombreuses vedettes dont plusieurs internationaux et le capitaine de l’équipe de France, Edmond Delfour qui participa à trois Coupes du Monde !
Malheureusement l’opposition est trop déséquilibrée pour que les Guingampais puissent faire illusion, si ce n’est l’espace de quelques instants, le temps d’inscrire le premier but de la rencontre, à la sixième minute, d’une splendide reprise de la tête. Vingt minutes plus tard la cause est entendue et les parisiens mènent deux buts à un avant d’en rajouter trois au cours de la deuxième mi-temps. Supérieurs tant techniquement que physiquement, les racingmen s’imposent largement face à un adversaire qui n’aura toutefois pas démérité.
Notons d’ailleurs que ce week-end de la Coupe de France 1933-1934 est sans pitié pour les clubs bretons puisque seule l’US Servannaise et … le futur grand rival du Stade Rennais parviennent à se qualifier pour le tour suivant.
Erwan LE GALL
1 PRIGENT, François, « Football, argent et socialisme. En Avant de Guingamp, des instituteurs laïques à Didier Drogba (1912-2003)», Histoire et Sociétés, Revue européenne d’histoire sociale, n°18-19, juin 2006, en ligne. |