Gagner en temps de guerre

Il fut un temps où la presse du département des Côtes-du-Nord – il n’était alors pas question de Côtes d’Armor – ne supportait pas l’En Avant de Guingamp mais le Stade Rennais. Et il fut un temps où ce même club remportait de faciles victoires face à Lyon et, de surcroît, en finale de coupe ! C’était en 1916 et il s’agissait de la Coupe des alliés.

Dans les années 1910, des joueurs de football. Collection particulière.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser aujourd’hui, ce trophée ne vient pas récompenser le vainqueur d’une coupe internationale. La Coupe des alliés est en effet créée en 1915 afin de redonner un peu d’activité aux clubs de football dont les championnats ont été interrompus par la guerre. Et l’on mesure dès lors toute la portée du nom choisi pour la compétition. En effet, en temps de guerre, alors que tant de familles sont endeuillées par la mort ou la disparition d’un proche au front, sans compter les blessés, les mutilés et les prisonniers, comment s’adonner à des activités de loisir telles que le football ? Comportement typique d’une certaine accommodation au conflit en cours, les sportsmen décident de se placer sous les auspices de l’Union sacrée et appellent leur compétition Coupe des alliés, ce qui lui confère une indéniable plus-value patriotique.

C’est au mois de décembre 1915 que débute la compétition et pour les rouges c’est un derby contre l’Union sportive rennaise, remportée dans la douleur en … deux matchs ! En effet, la première rencontre débouche sur un score nul, la partie ayant été jouée certes devant 500 spectateurs – ce qui semble témoigner d’un réel désir de loisirs des populations demeurées à l’arrière – mais sur un terrain détrempé par la neige. De surcroît, le reporter qui suit la compétition pour L’Ouest-Eclair n’est pas avare de commentaires sur le déroulement du match :

« Je n’ai pas l’habitude d’émettre de critiques sur les arbitres mais on me permettra de lui dire amicalement qu’il manque de fermeté, parce qu’il ne suit pas assez le jeu ; ces décisions rapportées font toujours très mauvais impression sur le public, qu’elles énervent, et sur les joueurs, qu’elles démoralisent. Il vaut mieux attendre, prendre une décision à bon escient et la maintenir. »1

Les commentaires sur l’arbitrage sont donc aussi vieux que le football lui-même, ce qui n’empêche pas le Stade rennais de franchir les tours de cette compétition : victoire par forfait contre Brest le 8 janvier, succès 4 à 1 au Parc des Sports contre Le Mans quelques semaines plus tard, nouvelle victoire 2 à 0 à Bordeaux – alors que le match était initialement prévu à Nantes – contre La Vie au grand air du Médoc en mars 1915… Gagnée 3 à 0 le 14 mai 1915, alors que les troupes du 10e corps d’armée enregistrent au même instant de dramatiques pertes en Artois, la rencontre contre Le Havre est qualifiée de « victoire du Stade rennais et de la Bretagne » par L’Ouest-Eclair2. Et  c’est ainsi sans doute ce qui amène le Moniteur des Côtes-du-Nord à qualifier de « victoire bretonne » le succès obtenu par le Stade rennais en finale 7 à 1 contre Lyon et, par la même occasion, à livrer un portrait particulièrement flatteur de l'équipe phare du chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine : « on peut le considérer à l’heure actuelle comme le club de province le plus select et le mieux organisé »3.

Poilus jouant au football, avril 1916. BDIC: VAL 216/008.

Certes, cette victoire n’est sans doute pas la plus étincelante du palmarès du Stade Rennais. Pour autant, elle n’en demeure pas moins un passionnant objet d’étude pour l’historien qui s’intéresserait à la thématique, encore relativement peu explorée, des loisirs pendant la Première Guerre mondiale. En effet, celle-ci emporte tout sur son passage jalonné de morts et rend socialement peu acceptable de telles pratiques. Pour autant, force est de constater qu’elles ne disparaissent pas mais qu’elles savent, au contraire, s’adapter au temps et au « politiquement correct » du moment.  C’est ce que rappelle L’Ouest-Eclair qui fustige en décembre 1915 l’attitude peu sportive des spectateurs du derby rennais : « Nous continuons à penser qu’en raison des circonstances actuelles, l’Union sacrée doit également se manifester sur les terrains de sport »4. Il fallait au moins cela pour que le Moniteur des Côtes-du-Nord se range derrière le Stade rennais !

Erwan LE GALL

 

1 « Le match de Rennes », L’Ouest-Eclair, n° 6029, 16 décembre 1915, p. 2.

2 « La victoire du Stade rennais et de la Bretagne », L’Ouest-Eclair, n°6211, 15 mai 1915, p. 2.

3 « Victoire bretonne », Le Moniteur des Côtes-du-Nord, 46e année, n°24, 10 juin 1916, p. 3.

4 « La Coupe des alliés », L’Ouest-Eclair, n°6036, 23 décembre 1915, p. 6.