Le football comme engagement : Marcel Landegren

Jouer au football dans ces années que l’on appelle la Belle époque ne relève pas que d’une simple pratique sportive. En effet, non seulement l’activité athlétique est à ce moment-là en train de se structurer au travers ce que l’on nomme le « mouvement sportif », mais celui-ci se légitime en confondant ses buts avec les intérêts de la Nation. Dans un pays comme la France du début du XXe siècle, où la citoyenneté s’exprime moins par l’intermédiaire du vote que dans l’aptitude à défendre son pays en cas d’agression extérieure, le sport est donc indissociable de l’idée de patrie.

L'équipe de l'USS en mars 1914. Marcel Landegren est probablement à gauche, habillé de blanc. Gallica / BNF: EST EI-13 (342).

C’est ce que rappelle parfaitement le parcours de Marcel Landegren, gardien de but vedette du début des années 1910 dont le nom est régulièrement orthographié, à tort, Landgren. Fils de capitaine au long cours, il naît à Saint-Servan en 1890. Si sa vie nous est peu connue, faute d’archives, on sait néanmoins qu’il ne tarde pas à se faire un nom en jouant au football, dans les cages de l’Union sportive servannaise (USS), club aujourd’hui disparu mais qui compte alors parmi les meilleures équipes de l’Ouest. C’est ainsi par exemple que L’Ouest-Eclair n’hésite pas à affirmer en novembre 1912 qu’il n’y a « pas mieux comme goal en Bretagne » que Marcel Landegren.

Bien que natif de Saint-Servan, son arrivée au sein de l’USS est sans doute plus complexe qu’il n’y parait de prime abord et semble au contraire illustrer les liens ténus qui unissent la défense de la patrie et la pratique du football. En effet, lors de son passage devant le Conseil de révision, Marcel Landegren est répertorié comme résidant à Paris, dans le 9e arrondissement, et exerçant la profession d’employé de commerce. Ce n’est au final qu’à la faveur de son incorporation, le 7 octobre 1911, au 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo, en tant que soldat de 2e classe, qu’il revient sur la Côte d’Emeraude, pour effectuer son service militaire, mais également pour jouer au football. En effet, les colonnes sportives de L’Ouest-Eclair1 font régulièrement état des exploits de Marcel Landegren, tant sous le maillot du 47e RI que sous celui de l’Union sportive servannaise ! Celui qui peut à l’occasion jouer au poste d’avant évolue ainsi non seulement pour les deux équipes mais bénéficie parfois de permissions pour défendre les couleurs de l’USS !

On le voit, les liens entre l’institution militaire et les clubs de football de la Belle époque sont sans doute plus serrés que ce que l’on veut bien imaginer. Peut-être sont-ce d’ailleurs ces conditions privilégiées qui conduisent Marcel Landegren à abandonner son poste d’employé de commerce et à poursuivre sa carrière militaire au sein du 47e RI en tant que sergent-fourrier ? Faute d’archives, il est néanmoins difficile d’être catégorique. En revanche, il est certain que c’est bien sous cet uniforme que la mobilisation générale le trouve en août 1914. Quittant la Côte d’Emeraude pour le front quelques jours plus tard, il est gravement blessé le 22 août 1914 lors de la bataille de Charleroi2, atteint à la cuisse droite par une balle qui lui cause une fracture du fémur et sera à l’origine  d’un rétrécissement de 4 centimètres de sa jambe. Pris en charge par les Allemands, il est soigné dans le secteur de Hanovre mais, son état de santé demeurant assez précaire, il bénéficie d'une mesure exceptionnelle et est rapatrié en France le 5 décembre 1915.

Carte postale figurant l'équipe de l'USS au début des années 1910. Marcel Landegren est probablement habillé en blanc. Collection particulière.

Bien entendu, la carrière de Marcel Landegren au plus haut niveau est finie. Les séquelles de sa blessure ne l’empêchent toutefois pas de rechausser les gants, au sein d’équipes de vétérans. Mais, l’engagement de Marcel Landegren au sein du mouvement sportif ne s’achève pas là. En effet, l’USS étant rongé au début des années 1930 par des crises internes résultant d’un passage raté au professionnalisme, il quitte le club de ses exploits pour rejoindre le puissant rival du chef-lieu de département, le Stade Rennais. Il en devient même le président à partir de 1938, poste qu’il quitte en juin 1943, non sans avoir rencontré d’immenses difficultés pour agrandir l’enceinte dans laquelle l’équipe première évolue

Erwan LE GALL

 

1 A ce propos on renverra à TETART, Philippe, « L’Ouest-Eclair et l’information sportive (1899-1919) : entre football et autonomisme », in TETART, Philippe (Dir.), La presse régionale et le sport. Naissance de l’information sportive (années 1870-1914), Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 285-309.

2 Pour de plus amples détails on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, , Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014.