L’épopée du Grand départ du Tour de France 1995

Il y a tout juste 20 ans, le samedi 1er juillet 1995, la Bretagne accueillait à nouveau le Grand départ du Tour de France. Après Brest en 1952 et 19741, Rennes en 1964 et Plumelec en 1985, c’est au tour de Saint-Brieuc d’ouvrir la Grande boucle.

Carte postale promotionnelle. Pour les villes d’étape, le Tour de France est une véritable vitrine. Collection particulière.

Au cours des semaines précédant l’événement, une « fièvre jaune » s’empare du chef-lieu des Côtes-d’Armor : quoi de plus normal sur cette terre de cyclisme qui a vu naître Bernard Hinault à Yffiniac, à quelques encablures seulement de Saint-Brieuc. L’inauguration du Tour 1995 est conçue comme un spectacle télévisuel, diffusé en prime-time sur les chaînes France-Télévision. Les meilleurs spécialistes du monde sont présents pour avaler les 7,3 km du prologue – épreuve contre-la-montre – à plus de 50 km/h. L’Espagnol Miguel Indurain est là pour tenter de rejoindre Jacques Anquetil, Eddy Merckx et Bernard Hinault au panthéon des quintuples vainqueurs du Tour de France, après ses quatre victoires obtenues d’affilée depuis 1991. Le Suisse Tony Rominger veut gagner son premier Tour, lui le récent vainqueur du Giro 1995 – le Tour d’Italie – et triple vainqueur de la Vuelta – le Tour d’Espagne – en 1992, 1993 et 1994. Quant à Chris Boardman, il veut remporter le prologue et le premier maillot jaune du Tour 1995. Il est vrai que le champion britannique à de solides arguments à faire valoir. Il est le champion du monde en titre du contre-la-montre. Il a remporté, à la vitesse record de 55,3 km/h, le prologue du Tour de France 1994 à Lille. De plus en 1993, il a établi un nouveau record de l’heure. En clair, Chris Boardman est un ogre qui avale le temps dès qu’il appuie sur ses pédales.

Pourtant, rien ne se passe comme prévu, et c’est la météo qui vient jouer les troubles fêtes, comme nous le montre le reportage diffusé dans le journal Soir 3, quelques heures après l’épreuve. Alors que, vers 19 h, les premiers coureurs à s’élancer ont profité de conditions climatiques parfaites, un orage s’abat sur les leaders qui partent après 21h. La chaussée devient glissante, ce qui les encourage à la plus grande prudence. Un des adages du cyclisme n’est-il pas qu’il vaut mieux perd un peu de temps, plutôt que de perdre la course ?! Seul l’Anglais Boardman veut braver les éléments, perché sur son vélo tout droit sorti d’un film de science-fiction. Mais alors qu’il descend le boulevard de la mer qui doit le conduire vers le port du Légué, les lois de la physique se rappellent à lui. Il chute et sa glissade se termine dans les barrières qui sécurisent le ravin tout proche, tandis que sa voiture suiveuse tente de s’arrêter. Les commentateurs et les téléspectateurs retiennent leur souffle pendant quelques secondes. Tout le monde craint que Boardman se soit fait écraser. Heureusement, des fractures au poignet et à la cheville sont les seuls dommages à déplorer. Transporté vers l’hôpital de Saint-Brieuc, le blessé donne de ses nouvelles dès le lendemain au cours de l’émission sportive Stade 2. Au final, c’est le Mayennais Jacky Durand, parti sous le beau temps, qui remporte cette étape dantesque et devient le porteur du premier maillot jaune du Tour 1995.

Le port du Légué, à Saint-Brieuc. Carte postale. Collection particulière.

Le journaliste sportif de l’émission Stade 2, Patrick Chêne, alors qu’il est en direct de Lannion, terme de la deuxième étape partie de Dinan, revient également sur LA polémique de la veille. En effet, les commentateurs ont largement ironisé sur le « temps breton » de Saint-Brieuc. Et il est peu dire que la météo est un sujet sensible dans la région… D’autant plus que les acteurs locaux s’attendent à des retombées touristiques importantes en accueillant le départ de l’un des événements sportifs les plus suivis dans le monde, après les Jeux olympiques, et la Coupe du monde de football. C’est pourquoi, devant une foule qui agite le Gwenn-ha-du et chante : « Ils ont des chapeaux ronds. Vive la Bretagne », les journalistes insistent pour dire qu’ « il fait toujours beau en Bretagne ! » Bref, sport et orgueil régional ne font pas toujours bon ménage avec la météo… surtout quand celle-ci est capricieuse !

Thomas PERRONO

 

1 Brest accueille à nouveau un Grand départ du Tour de France en 2008, ce qui en fait la deuxième ville française – derrière Paris – à avoir reçu le plus souvent cet honneur.