De Nantes à Brest et de Rennes à Quimper : un 14 Juillet 1918 franco-américain

Le 14 juillet 1918 intervient dans un contexte particulier. Alors qu’en 1917, l’arrivée toute récente des Américains avaient contribué quelques jours avant la fête nationale à remonter un moral chancelant – sur le front, suite à l’échec de l’offensive sur le Chemin des Dames en avril comme à l’arrière, du fait du rationnement, des privations et de la dégradation de la situation économique –, la situation est bien plus compliquée l’année suivante : depuis mars, les alliés n’ont cessé de reculer, dans les Flandres, en Picardie, sur le Chemin des Dames qui a été abandonné aux Allemands ou encore sur la Marne tandis que Paris se trouve sous le feu des canons à longue portée de l’ennemi. Tout juste a-t-on pu, faute de mieux, enrayer les offensives allemandes et – même si l’on ne le sait sans doute pas encore alors – user définitivement ses capacités offensives.

Américains montant dans un train. Sans lieu ni date. Collection particulière.

La fête nationale a, dans ces conditions, un goût à part, en Bretagne comme ailleurs.

Le 14, après le 4…

« Les Américains vont célébrer aujourd’hui notre Fête nationale, comme nous avons-nous-mêmes célébré la semaine dernière la fête de l’Indépendance américaine » annonce très explicitement en une L’Ouest-Eclair du 14 juillet 1918. En effet, après les festivités du 4 juillet, occasion de mettre en avant, en Bretagne comme dans de nombreuses autres régions, de la Gironde à l’Indre, de la Sarthe à la Bourgogne ou à la Lorraine, l’amitié franco-américaine, le 14 juillet permet une dizaine de jour plus tard aux sammies de rendre la pareille à leurs alliés français... même si la presse locale se montre paradoxalement peut-être moins diserte que pour l’Independance Day : à Brest par exemple, si le Cri du Peuple, journal de la Fédération SFIO du Finistère, avait consacré sa une du 6 juillet aux cérémonies de l’avant-veille, il ne dit presque rien du 14 à venir dans son édition du 13 juillet, et n’y accorde pas une ligne dans le numéro du 20.

Il est vrai que l’ambiance est toute autre, à commencer par la météo : c’est sous une pluie battante que les cérémonies se déroulent dans toute une partie de la Bretagne, alors même que le soleil avait brillé dix jours plus tôt. De manière plus large, Le Citoyen du 19 juillet explique que « le 14 juillet a été célébré à Quimper avec la simplicité et la gravité que comportaient les événements actuels ». Le journaliste du Finistère, autre journal quimpérois, note pour sa part qu’il pense que les autorités assistaient bien à la fête, sans pouvoir le certifier : il était « trop loin » de la tribune officielle pour l’affirmer… L’ambiance n’est semble-t-il pas à l’euphorie. 

Des sammies partout attendus

L’essentiel est pourtant ailleurs, dans bien des villes, et plus particulièrement dans la présence – réelle ou espérée – de soldats américains à ces cérémonies du 14 juillet.

Carte postale. Collection particulière.

Les Morlaisiens sont sans doute les plus déçus. Début juillet, les rumeurs allaient bon train sur les discussions alors en cours : « Nous croyons savoir que des pourparlers sont engagés pour qu'un contingent assez nombreux d'Américains vienne célébrer le 14 juillet chez nous » affirme L’Eclaireur du Finistère le 6 juillet. Pourtant, le 14, il faut déchanter : point d’Américains en vue. L’explication vient une quinzaine de jours plus tard : « la Musique de la Marine que je pensais pouvoir amener à Morlaix vient de partir pour un voyage à travers la France » avait en fait annoncé le responsable de la YMCA de Brest dès le 5 juillet, mettant fin ainsi aux espoirs des autorités locales qui, depuis 1917, se plaignent d’ailleurs à intervalles réguliers de l’absence de troupes américaines sur place.

La situation de Quimper est, de ce point de vue, plus enviable. Les deux hebdomadaires de la ville peuvent se féliciter en effet, dans leurs comptes-rendus des 19 et 20 juillet, de la présence « parmi les officiers qui assistaient à la revue, […] des Américains du centre d’aviation de Loctudy » ainsi que l’écrit Le Finistère. « Des places d'honneur [leur] étaient réservées » surenchérit Le Citoyen. Si, ici, les soldats de l’Oncle Sam sont peu nombreux, ils n’en sont pas moins présents et visibles de tous : voila ce qui prime alors. 

La musique américaine et ses « sonorités exotiques »

A Rennes, c’est, bien plus que les « détachements anglais et belges », mais aussi « italiens, polonais », « la musique et l’artillerie américaines » ou « le génie américain » qui tiennent une place à part dans un dispositif qui compte quelque 3 500 militaires. Plus encore, ce sont « les camions américains arrivant à toute vitesse avec l’artillerie alliée », après que « des sonneries de trompes » ont retenti, qui impressionnent les spectateurs massés sur le Champ de Mars. « Sur le boulevard de la Liberté, le coup d’œil ne manque pas de pittoresque » écrit le journaliste. « Ces voitures bondées, roulant à toute vitesse, ne donnent-elles pas l’image d’une scène du front : ces mêmes camions arrivant remplis de combattant pour la bataille ? ». Sans doute pas en fait. Plus que d’une « scène du front » en effet, cette entrée « en trombe » des véhicules est comme l’illustration de la force de la logistique américaine à cette date, incarnation en cela aussi d’une nouvelle image de la vitesse, au moins relative : ainsi, c’est « en un clin d’œil [que] les Américains se mettent en ligne » et que « leur chef vient présenter ses devoirs » au général d’Amade, commandant la 10e région militaire. Suit le défilé, « chaque nation [y participant] dans son caractère particulier ». Pour sa part, « la musique américaine joue un pas redoublé aux sonorités exotiques, dénotant d’éminentes qualités d’instrumentistes chez les exécutants ». Faut-il voir dans ces « sonorités exotiques » quelque accent de jazz ? Possible, bien qu’il soit difficile de l’assurer.

A Nantes, le journaliste de L’Ouest-Eclair signale la présence de « détachements de l’armée américaine, comprenant une section de nègres dont, tout à l’heure, le défilé au pas de charge provoquera les bravos de la foule ». C’est, ici aussi, « la musique américaine, au son vibrant de ses cuivres », qui ouvre le défilé, suivie par les sammies « dont la foule salue de ses cris joyeux l’allure splendide ». A Vannes, où des artilleurs suivant leur instruction à Meucon ont été dépêchés, c’est toujours à la « musique américaine » que revient de jouer non seulement Star Spranged Banner mais aussi la Marseillaise. D’autres artilleurs américains de Meucon sont d’ailleurs présents à Lorient le même jour, avec leur musique là encore. C’est d’ailleurs sur « la réception des Américains », en une Bretagne où « l’hospitalité est la vertu primordiale, […] à proprement parler, la pierre de touche de l’âme bretonne » qu’insiste le journaliste du Nouvelliste du Morbihan dans son article du 16 juillet : « il convenait donc » poursuit-il, « pour symboliser le grandiose apparat qui se manifestait en ce jour consacré, de donner le signal des Fêtes par une réception solennelle à l’hôtel-de-ville des autorités appartenant à la base navale établie dans nos eaux ».    

Carte postale. Collection particulière.

Le 14 juillet, sorte de remake du 4 ? Pour une part sans doute, ainsi que l’illustrent les cérémonies de Brest. Ici, « malgré le mauvais temps », les troupes sont passées en revue par le vice-amiral Moreau, gouverneur de la place, mais aussi par l’amiral Wilson, son homologue américain. Mais, après le défilé, « frénétiquement applaudi », c’est le second qui offre « une grande réception […] dans la salle des fêtes », comme le premier l’avait fait le 4, scellant ici comme ailleurs l’amitié franco-américaine. 

Yann LAGADEC