Le 4 juillet 1918, quand les Bretons défilent sous les couleurs américaines

Tous les 4 juillet, l’Independence Day est commémoré aux Etats-Unis. Naturellement limitée au continent américain, la fête s’exporte néanmoins en France à partir de 1917. Elle devient en effet une occasion unique d’affirmer le lien fraternel qui unit les deux peuples désormais engagés dans le même conflit. L’organisation de cérémonies publiques est même vivement encouragée par le gouvernement français. Au début de l’été 1918, Georges Clémenceau déclare qu’il appartient aux autorités locales « d'encourager ou de provoquer, au besoin, toutes initiatives locales afin de fêter dignement dans des réunions artistiques, concerts, banquets, etc.., l'Independance Day »1. Pour le président du Conseil, ces manifestations doivent permettre de « témoigner à nos vaillants Alliés dans un élan unanime, la reconnaissance du peuple français pour l'œuvre splendide qu'ils sont en train d'accomplir ».

Carte postale. Collection particulière.

Les principales villes bretonnes répondent favorablement à cet appel. C’est le cas à Saint-Nazaire ou encore à Brest où ces initiatives sont probablement motivées par la proximité de nombreux Doughboys. C’est également le cas à Vannes qui voit, depuis quelques semaines, transiter des milliers de soldats américains vers le camp de Meucon2. La ville morbihannaise organise dès le dimanche 30 juin une formidable cérémonie devant l’Hôtel de Ville qui réunit des militaires français et américains, mais également de nombreuses personnalités publiques tels le préfet, le procureur de la République, le président du tribunal civil ou encore l’évêque, Monseigneur Gouraud3. Ce rassemblement marque le départ d’une semaine de commémorations puisque le 4 juillet « la plupart des maisons » sont encore « pavoisées aux couleurs françaises et américaines »4.

La proximité des troupes américaines n’est pas la seule raison expliquant l’enthousiasme des autorités locales. Bien que disposant d’un faible contingent de Sammies, Lorient se montre particulièrement dynamique5. Des drapeaux sont en effet accrochés sur la préfecture maritime, sur la mairie, sur le lycée, sur le clocher l’église Saint-Louis et sur la majorité des édifices publics. Selon Le Nouvelliste du Morbihan, la population se joint massivement à cette démonstration de fraternité puisque « pas une maison n’avait pas » son drapeau,  au point de provoquer une rupture du – « trop faible » – stock de drapeaux alliés6. Cette spontanéité prend en partie sa source dans une vibrante déclaration du maire, prononcée quelques jours plus tôt :

«  Au moment où nos amis d’Amérique commémorent solennellement leur liberté conquise, il faut que les citoyens français se joignent à eux pour envoyer aux valeureux champions, qui vaillamment luttèrent côte à côte dans le passé, un hommage reconnaissant.7

Mais les commémorations de l’entente franco-américaine ne sont pas seulement organisées dans les villes. Exceptionnellement, les camps américains ouvrent leurs portes au public le 4 juillet 1918, afin que les Bretons puissent assister à la revue des troupes puis à des tournois sportifs.  C’est le cas à Coëtquidan où « la fête nationale américaine du 4 juillet a été célébrée avec éclat » selon L’Union Morbihannaise. L’hebdomadaire donne les détails de cette journée :

« Le défilé impeccable de nos amis et alliés souleva des applaudissements enthousiastes. Un déjeuner suivit, au cours duquel des toasts furent échangés. Le général américain leva trois fois sa coupe en l'honneur du président Wilson et des autorités françaises présentes. M. le général Huguet dit, en anglais, son admiration pour les troupes américaines et M. Jenouvrier associa dans les mêmes espoirs et les mêmes pensées toutes les familles américaines et françaises. »8

A Meucon, la journée attire de nombreux riverains. Cet engouement dépassent d’ailleurs les prévisions logistiques puisque, malgré « deux trains littéralement bondés », ce sont « près de quinze cents personnes » qui n’ont pas « pu prendre place dans ces trains et ont dû rentrer assez mécontents »9.

Carte postale. Collection particulière.

Un an plus tard, le 4 juillet semble redevenir une fête exclusivement américaine. L’enthousiasme perceptible un an plus tôt dans le Morbihan n’est plus. La lassitude des populations locales à l’égard des Doughboys dont elles critiquent les excès, et leurs déceptions suite au positionnement des autorités américaines lors des récentes négociations du traité de Versailles, constituent très certainement une explication de ce retour à la normale. Mais on doit également s’interroger sur la « spontanéité » et « l’enthousiasme » des foules que la presse morbihannaise ne manque pas de souligner. N’y a-t-il en effet pas là matière à éveiller la suspicion de l’historien ? Ne faut-il pas voir dans cette célébration patriotique un habile outil de pédagogie, à un moment où n’est pas encore amorcé le reflux des armées allemandes, où le corps expéditionnaire américain commence à peine à être massivement engagé et où, au final, la guerre n’a probablement pour la France jamais été aussi proche d’être perdue ?

Yves-Marie EVANNO

 

1 « La fête nationale Franco-Américaine du 4 juillet », Le Nouvelliste du Morbihan, 3 juillet 1918, p. 2.

2 LE RAY, Jean, « Les Américains au camp de Meucon », in Coll., Le Morbihan et les Morbihannais en 1914-1918, Vannes, Société polymathique du Morbihan, 2015, p. 90-114.

3 « Les Américains fêtés », L’Ouest-Maritime, 2 juillet 1918, p. 2.

4 « Réception des Américains à Vannes », L'Union Morbihannaise, 6 juillet 1918, p. 2 et « La fête américaine à Vannes », Le Nouvelliste du Morbihan, 6 juillet 1918, p. 2.

5 Quelques dizaines d’Américains séjournent à Lorient durant la guerre, essentiellement dans la cadre de la défense aéronavale des côtes bretonnes. Sur ce point voir, « Un camp américain », in Coll., Les Morbihannais dans la guerre 14-18, Vannes, Archives départementales, 2014, p. 118-125, et BOGARD, Valentin, Aspects socio-économiques de la présence des Américains dans le Morbihan entre 1917 et 1919, Lorient, UBS, mémoire de Master 2 sous la direction de BRUNEAU, Jean-Baptiste, 2016.

6 « L’Indépendance Day à Lorient », Le Nouvelliste du Morbihan, 6 juillet 1918, p. 1.

7 « Un appel du maire à la population », Le Nouvelliste du Morbihan, 3 juillet 1918, p. 2.

8 « L’Independence Day à Guer », L’Union Morbihannaise, 13 juillet 1918, p. 2.

9 « La fête américaine à Vannes », Le Nouvelliste du Morbihan, 6 juillet 1918, p. 2.