Doughboys en Iroise : un numéro des Cahiers à ne pas manquer !

Si les bienfaits du numérique en histoire, et en sciences sociales de manière plus générale, ne sont plus à démontrer tant nombreux sont les fonds d’archives aujourd’hui disponibles en ligne, la révolution digitale n’est pas sans effets pervers. L’un des plus regrettable est sans doute la fragilisation des sociétés savantes, nombreuses étant les associations qui, du fait d’un vieillissement de ses membres, n’ont pu/su prendre le tournant du 2.0. Là est une situation véritablement regrettable car ces nobles institutions publient dans leurs cahiers et bulletins de nombreux articles qui, pour privilégier une approche résolument locale, n’en demeurent pas moins extrêmement intéressants. Le dernier numéro des Cahiers de l’Iroise, édité par la Société d’Etudes de Brest et du Léon et consacré à la présence américaine au cours de la Première Guerre mondiale, en fournit un brillant exemple1.

Soldat américain débarquant à Brest. Library of Congress: LC-B2- 5111-14 [P&P].

Il serait bien entendu illusoire de résumer en si peu de lignes un volume fort riche, tant par la diversité des approches que par la qualité des contributions et des illustrations. En collaboration avec Cédric Boissière, Yann Lagadec, qu’il n’est du reste plus besoin de présenter aux lecteurs d’En Envor, publie une synthèse particulièrement intéressante sur le débarquement des doughboys à Brest et, plus globalement, leur découverte de la Bretagne. Eclairant, l’article est de surcroît accompagné par la transcription du récit des trois journées brestoises que consigne dans son journal le sergent L. Louis Lee (p. 15-18).

Signalons également l’éclairante contribution qu’Annick Le Douget consacre aux travailleurs chinois du port de Brest (p. 66-88), analyse que l’on pourra confronter aux travaux de M. Le Van Ho sur les Vietnamiens2. Si la question a été globalement défrichée au cours des dernières années grâce aux enquêtes de Laurent Dornel et Li Ma, les études de cas restent rares, le plus souvent faute de sources3. Ici, c’est un fait divers des plus sordides qui permet d’accéder à ce sujet à notre connaissance encore inédit à l’échelle bretonne : le meurtre d’un de ces travailleurs par l’un de ses collègues, affaire donnant lieu à un jugement aux assises du Finistère et ayant par conséquent produit une masse conséquente d’archives. Là encore, le fait divers se révèle des plus instructifs et permet de combler de véritables angles morts de l’historiographie.

Mais ce sont sans doute les extraits de trois témoignages du nationaliste breton Célestin Lainé (p. 88-98), textes introduits par le spécialiste de Breiz Atao Sébastien Carney4, qui, à n’en pas douter, rendent ce numéro des Cahiers de l’Iroise si incontournable. Il est en effet rare de pouvoir disposer chez un même individu de témoignages se rapportant à une même période mais rédigés à différentes époques, en l’occurrence 1946, 1969 et 1971. Si nous ne partageons pas toujours la lecture qu’en donne Sébastien Carney5, ces écrits donnent à voir une contre-mémoire particulièrement fascinante et paradoxale de la présence américaine en Bretagne pendant la Grande Guerre. En effet, il est assez surprenant de constater qu’au final les représentations du futur nationaliste breton ne divergent fondamentalement pas de celles du reste des habitants de la péninsule armoricaine. Dans ces lignes, Lainé insiste avant tout sur la dimension matérielle de la présence américaine (p. 91) et sur les moyens financiers censément illimités des doughboys (p. 97), livrant ce faisant un tableau assez convenu.

Carte postale. Collection particulière.

Au final, l’un des aspects les plus remarquables de ce dossier américain concocté par Les Cahiers de l’Iroise réside certainement dans la diversité des sources mobilisées pour l’occasion. On l’a vu, Yann Lagadec et Sébastien Carney mobilisent des témoignages quand Annick Le Douget sollicite les archives judiciaires. Jean-Marie Kowalski s’intéresse lui à la question du choix du port de Brest par le corps expéditionnaire (p. 111-124) mais base sa réflexion sur des archives américaines, encore trop peu sollicitées. Enfin, si  les conclusions de la contribution de Jeremi Kostiou pourront certainement être nuancée, l’originalité de la démarche entreprise, basée sur les fruits de campagnes de détection, méritent assurément d’être soulignée, et saluée. Bref, autant d’excellentes raisons de se procurer ce dossier incontournable.

Erwan LE GALL

« 1917, Les troupes américaines de l’oncle Sam débarquent à Brest », Les Cahiers de l’Iroise, n°225, Janvier 2017.

 

 

 

 

 

 

1 « 1917, Les troupes américaines de l’oncle Sam débarquent à Brest », Les Cahiers de l’Iroise, n°225, Janvier 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 LE VAN HO, Mireille, Des Vietnamiens dans la Grande Guerre. 50 000 recrues dans les unités françaises, Paris Vendémiaire, 2014.

3 DORNEL, Laurent, « Les travailleurs chinois en France pendant la Grande Guerre », Hommes et migrations, n°1308, 2014, p. 174-179 et MA, Li (dir.), Les travailleurs chinois pendant la Première Guerre mondiale, Paris, CNRS Editions, 2012.

4 CARNEY, Sébastien, Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.

5 Cela est notamment le cas p. 91 : « Cet antisémitisme conduit Lainé à relativiser la cruauté allemande pendant la Grande Guerre en faisant des atrocités, pourtant réelles, un simple argument de propagande ». Loin de nous bien entendu l’intention d’ériger Célestin Lainé en philosémite. Pour autant, la mise en doute des atrocités allemandes n’est dans les années 1960 par quelque chose de totalement rare et il faut véritablement attendre l’étude fondatrice et aujourd’hui classique de John Horne et Allan Kramer pour que cesse l’ambiguïté. HORNE, John et KRAMER, Allan, Les Atrocités allemandes, Paris, Tallandier, 2005.