Mai 1916 : raids et coups de main en Argonne. Les 41e et 241e RI à l’action

Si la fin de l’hiver et le printemps 1916 sont avant tout marqués par les combats de Verdun, le reste du front français n’est pas pour autant totalement figé, loin s’en faut. Pour les unités du 10e corps d’armée, en position dans la forêt d’Argonne depuis le mois d’août 1915, après 10 mois particulièrement éprouvants en Artois, ce début d’année 1916 se caractérise par une certaine routine, celle des relèves régulière en première ligne, mais aussi quelques coups de main qui peuvent se révéler particulièrement meurtriers.

Deux des musiciens-brancardiers du 41e RI, Le Foll et Lenoir, tous deux saxophonistes originaires de Rennes, morts lors du raid allemand du 2 mai 1916, peut-être intoxiqués par les gaz utilisés à cette occasion (coll. R. Boivent).

Tel est le quotidien, entre autres, des deux régiments rennais de la 261e brigade d’infanterie, les 41e et 241e RI.     

Le coup de main allemand du 2 mai 1916 : les tranchées du 41e RI submergées

Vers 15h00 le 2 mai 1916, les premières lignes du 41e RI sont prises sous « un bombardement extrêmement violent », qui « va en croissant et s’aggrave d’obus asphyxiants extrêmement nocifs »1. Il s’agit en effet probablement d’un nouveau gaz, peut-être du diphosgène dont les premières utilisations datent de cette période2. De ce fait, selon les JMO, « malgré les masques », ces obus « tuent beaucoup de nos hommes dans les abris ». Après plus de quatre heures de ce bombardement, trois compagnies allemandes sortent de leurs tranchées et se ruent sur les positions françaises, plus particulièrement celles tenues par le 3e bataillon du 41e RI : là, « des combats au corps à corps s’engagent », avant que l’ennemi se retire, sans doute moins en raison « de nos feux d’artillerie et d’infanterie » – comme le prétendent les JMO du régiment – que parce que l’occupation durable des lignes françaises n’était pas l’objectif assigné à ces trois compagnies.

Il faut plusieurs jours pour relever tous les morts dans les tranchées et surtout les abris, du fait des gaz : les pertes sont lourdes en effet, passant d’ailleurs de 168 morts, blessés, intoxiqués et disparus comptabilisés le 3 au matin à 218 – dont 103 morts ou disparus et près de 70 intoxiqués – le 5, une fois l’ensemble des positions inspectées. 103 morts et disparus en un seul coup de main allemand, l’équivalent de 45 % de l’ensemble des décès enregistrés en 10 mois passés sur le front d’Argonne par le 41e RI.
Ce raid, particulièrement meurtrier pour le régiment rennais, n’est qu’une opération parmi d’autres, Français et Allemands se rendant coup pour coup.

Coup (de main) pour coup (de main)

Cette attaque n’est en effet pas la seule : d’autres suivent, moins importantes, moins meurtrières aussi, associant cette fois explosion de mines et coup de main de quelques dizaines de combattants.

Ainsi le 19 mai 1916. L’affaire commence vers 3h00, par la mise à feu de deux mines devant une portion du secteur du 41e RI. Immédiatement après, un violent bombardement vise les lignes françaises, de manière à frapper les fantassins qui auraient rejoint les créneaux de tir de leurs tranchées, de manière aussi à les empêcher d’occuper les lèvres des entonnoirs creusés par les deux explosions. Après 30 minutes de ce régime, trois groupes d’assaut allemands sortent de leurs positions : si deux sont repoussés par les feux de l’infanterie et le tir de barrage des 75, un parvient jusqu’à la tranchée française à proximité de la position dite du Saillant Kowalsky. La lutte y est sévère et si l’ennemi se retire « laissant quelques cadavres » dans la tranchée française, au moment où le calme revient, vers 4h40, l’on dénombre 9 tués, 10 disparus – sans doute capturés – et 35 blessés dans les rangs du 41e, dont les positions sont visées par une autre attaque de ce genre le 26 mai suivant.

Le secteur de Saint-Hubert, en Argonne avec, au fond, l’entonnoir Kowalsky, théâtre de combats meurtriers lors du coup de main allemand du 19 mai 1916 contre les positions du 41e RI. BDIC: fonds Valois.

Ce troisième coup de main est intéressant par les répercussions qu’il eut en interne. Reprenons les JMO :

« A 3h du matin, les Allemands font sauter deux fortes mines dont une devant [le secteur] C1. En même temps, violent bombardement et coup de main des Allemands sur C2. L’ennemi nous fait trois prisonniers de la 3e Cie (C2). Nous avons 3 tués, 2 blessés, 4 disparus ensevelis. Nous organisons les lèvres de l’entonnoir.
L’attaque a été menée par deux détachements de quinze hommes, chacun armés de grenades, de révolvers et d’appareils incendiaires. Le 1er groupe, utilisant les lèvres sud du grand entonnoir, se dirigeait sur l’entonnoir produit par l’explosion pour l’occuper, mais pris de flanc par les défenseurs de la tranchée Prigent, l’ennemi faisait face à cette attaque soudaine, lançait q[uel]ques grenades et disparaissait.
La 2e attaque, partant du fond du grand entonnoir, faisait irruption sur le petit poste de guetteurs établi à l’extrémité du boyau chargé de la surveillance de l’entonnoir, enlevait les 2 guetteurs, pénétrait dans ce boyau, essayant d’entrer dans le BJ22, mais arrêté par le feu de grenades et q[uel]ques coups de fusil, faisait demi-tour et disparaissait.
Les 2 guetteurs, les soldats Duvalet et Bougerie de la 3e Cie, paraissent n’avoir opposé aucune résistance ; en tout cas, ils n’ont pas donné l’alarme. Une plainte en conseil de guerre est établie contre eux. »3

Qu’est-il advenu de ces deux soldats ? De la plainte devant le conseil de guerre les concernant ? Il n’a pas été possible de le savoir. Tout juste sait-on que leur nom ne figure pas parmi ceux des morts du 41e RI : sans doute ont-ils été capturés par les Allemands à l’instar des 10 disparus du 19 mai.

Il semble d’ailleurs qu’un nouveau coup de main se prépare, début juin 1916, au moment où la 261e BI est retirée de ce secteur de l’Argonne : le 6 juin en effet, « des bruits de mines sont entendus sous le petit poste de barrage de gauche de Kowalsky »4. Ces craintes sont confirmées par un déserteur allemand, capturé le lendemain, qui déclare qu’une « forte mine » serait en préparation dans un secteur voisin, celui de « l’entonnoir Langlois », à la limite des positions tenues par le 241e RI. Le 8, « une contre-galerie de mine est entreprise par le génie pour arrêter les travaux de l’ennemi », qui semble alors à 25 m environ de la ligne française. Et si le 10 juin, « d’après les renseignements obtenus par le SE », c’est-à-dire le service extérieur, « les Allemands ont l’intention de faire un coup de main à 9 h. », le lendemain, « par les mêmes hommes que ceux qui ont exécuté le coup de main du 2 mai », cette attaque ne vient finalement pas.

Pas avant la relève de la 131e division d’infanterie et des 41e et 241e RI pour le moins.

A l’origine de ces raids allemands, un changement de posture des troupes françaises ?

Face à ces attaques, les troupes françaises ne restent d’ailleurs pas inactives, contribuant peut-être à la rupture initiale du calme relatif qui prévalait en Argonne depuis le début de l’automne 1915 et au déclenchement d’un cycle de « représailles » illustré par les attaques des 2, 19 et 26 mai.

Le 29 avril en effet, une section de la 22e compagnie du 241e RI, celle du sous-lieutenant Condamain, a lancé une opération contre les tranchées allemandes afin de situer plus précisément un poste d’écoute et un observatoire d’artillerie5. Renforcés de huit sapeurs du génie, chargés de détruire ces objectifs à l’explosif, et de deux équipes de sapeurs-pompiers équipés de lance-flammes, les trois groupes d’attaque se glissent vers les positions allemandes à 2h45, après un bombardement de 10 minutes seulement.

Les sentinelles ennemies sont rapidement abattues, avant qu’une « lutte ardente s’engage à coups de grenades aux abords de chaque entrée » des abris « d’où les Allemands tentent de sortir et d’où partent des coups de feux ». À force de « grenades incendiaires et de jets de liquides enflammés », le silence « se fait en quelques instants ». Et si « six Allemands réussissent à s’enfuir, cinq sont abattus » tandis que le sixième, « atteint par deux balles, se débat jusqu’à ce qu’il soit grièvement blessé d’un coup de couteau à la tête ». « Ce sera le seul prisonnier » indique le rapport signé du général Anthoine, commandant le 10e corps d’armée, qui se félicite de la réussite de l’opération. Elle se solde par la blessure de huit combattants français, la destruction de plusieurs abris allemands et des pertes estimées à une trentaine de morts ennemis. Le sous-lieutenant Henri Condamain, qui fait partie des blessés, meurt des suites de ses blessures le 13 mai suivant, à l’hôpital complémentaire n° 9 de Lyon6.

Dans le secteur de Saint-Hubert. BDIC: fonds Valois.

Cette opération du 29 avril est-elle à l’origine de celle conduite par les Allemands le 2 mai ? Ce n’est pas impossible, même si l’utilisation d’un nouveau type de gaz et la présence de troupes visiblement entraînées pour conduire les raids des 2, 19 et 26 mai laissent entendre que tout ne s’est pas préparé, côté allemand, en trois jours. La proximité de Verdun, à une trentaine de kilomètres à l’est, a sans doute contribué aussi à sortir de sa torpeur relative ce secteur de l’Argonne.

L’une des principales victimes de ce regain d’activité sur le front d’Argonne sera d’ailleurs le chef de corps du 41e RI : alors qu’il inspecte les lignes françaises, le lieutenant-colonel Clerget est tué d’une balle en pleine tête le 9 mai.

Yann LAGADEC

 

Pour en savoir plus :

GUYVARC’H, Didier et Lagadec, Yann, Les Bretons et la Grande Guerre. Images et histoire, Rennes, PUR, 2013.

GUERIN, Christophe et LAGADEC, Yann, 1916. Deux régiments bretons à Verdun, Rennes, SAHIV/Amicale du 41e RI, à paraître, juin 2016. 

 

 

 

 

1 SHD/DAT, 26 N 628/2, JMO du 41e RI, 2 mai 1916.

2 LEPICK, Olivier, La Grande Guerre chimique, 1914-1918, Paris, PUF, 1998, p. 185-187.

3 SHD/DAT, 26 N 628/2, JMO du 41e RI, 26 mai 1916.

4 SHD/DAT, 26 N 628/2, JMO du 41e RI, 6-10 juin 1916.

5 SHD/DAT, 26 N 548/6, JMO de la 261e BI et 26 N 725/9, JMO du 241e RI, 29 avril 1916.

6 Il est fait chevalier de la Légion d’honneur le 8 juin suivant à titre posthume (Arch. nat., LH/580/18).