L’espoir d’une nouvelle Marne en septembre 1939

La bataille de la Marne (5-12 septembre 1914) compte certainement parmi les plus marquantes de l’histoire militaire française. En près d’une semaine, l’armée française déjoue les plans allemands et repousse l’ennemi vers l’Est. Le récit est d’autant plus héroïque qu’il met en scène les fameux « taxis de la Marne » dans la défense de Paris – bien que leur importance stratégique soit nuancée par l’historiographie.

Carte postale. Collection particulière.

Ce souvenir de la Marne cristallise, dans l’entre-deux-guerres, une fierté particulière. Cette flamme est ravivée en 1939 lorsque la France se retrouve une nouvelle fois en guerre avec l’Allemagne. L’article d’Eugène Le Breton publié dans L’Ouest-Eclair est particulièrement révélateur de cet état d’esprit et du statut particulier dont jouit dans les consciences la bataille de la Marne. Et c’est à l’occasion du 25e anniversaire, les 7 et 8 septembre 1939, qu’il prend sa plume1.

Le récit de l’affrontement tient une place prépondérante dans la publication du journaliste. Il évoque ainsi l’avancée allemande du mois d’août, minimisant la déroute des troupes en Belgique en parlant simplement de « recul ». Puis, il glorifie l’intelligence tactique des officiers (principalement Joseph Joffre) et l’héroïsme du combattant français présenté, quelques années plus tôt par le même auteur, comme « le premier soldat du monde »2.

L’auteur montre ostentatoirement son attachement national et fait explicitement le lien avec l’actualité. Une pratique qu’il affectionne comme en témoigne, cinq ans plus tôt, son récit de la bataille de Charleroi qui laissait déjà paraître la lourde atmosphère de l’année 1934. Pour en revenir au mois de septembre 1939, on notera qu’Eugène Le Breton désigne clairement l’ennemi : il s’agit du « gangster Adolf Hitler ». Le terme utilisé est d’autant plus intéressant qu’il semble désigner Hitler non pas comme un homme d’Etat mais bien comme un chef de pègre qui rackette l’Europe de ses nations : l’Autriche, la Tchécoslovaquie et désormais la Pologne.

Lors de la signature des accords de Munich. Wikicommons / Bundesarchiv: Bild 146-1976-033-06.

Pourtant, l’auteur se veut rassurant. Selon lui, la Marne symbolise la réussite éternelle de la France. Et si l’adversaire est supposé plus puissant, il rétorque :

« Pour nos adversaires d'alors, qui sont nos adversaires d'aujourd'hui, elle est le témoin éternel: de l'effondrement de leur plan de campagne audacieux et, quoi qu'ils en disent, de leur première défaite. Cette défaite, ils l’ont toujours niée, ils la nient encore, ils la nieront toujours. Mais la propension des Allemands à nier l'évidence est un des éléments les plus curieux de la psychologie de ce peuple de proie. Les Germains, peut-on dire, mentent comme ils respirent. »

L’article nous est d’autant plus précieux qu’il nous offre un témoignage qui se veut « prophétique ». Ainsi l’auteur n’hésite pas à annoncer la prochaine victoire de la France :

« Le passé des vainqueurs de la Marne répond de notre prochain avenir à tous. La force morale, une fois encore, est de notre côté en 1939. La guerre qui commence, les Franco-Anglais, comme l'autre, la gagneront ! »

Certes, c’était sans compter un nouveau « plan de campagne audacieux » de l’armée allemande. De même, on peut mesurer ici le poids de la Première Guerre mondiale au moment d'aborder la Seconde, tendance qui ne s'effacera jamais totalement. Mais surtout, cet article d’Eugène Le Breton nous rappelle qu’une commémoration n’est jamais neutre. Que derrière le message historique, le sacro-saint « devoir de mémoire », se cachent des intentions précises, souvent très politiques, qui s’ancrent totalement dans le temps présent. Un point qu’il n’est sans doute pas inutile d’avoir à l’esprit à quelques heures des commémorations du centenaire de la bataille de la Marne.

Yves-Marie EVANNO

 

1 LE BRETON, Eugène, « Il y a vingt-cinq ans, c’était la Marne », L’Ouest-Eclair, n°15640, 7 septembre 1939, p. 2 et LE BRETON, Eugène, « Il y a vingt-cinq ans, c’était la Marne », L’Ouest-Eclair, n°15641, 7 septembre 1939, p. 2.

2 LE BRETON, Eugène, « La bataille de Charleroi et le combat d’Arsimont », L’Ouest-Eclair, n°13648, 20 mars 1934, p. 5.