La presse du 18 juin 1940 ou l’appel au calme

Le 16 juin 1940, faisant face à la débâcle des troupes françaises submergées par l’envahisseur allemand, Paul Reynaud démissionne de la présidence du Conseil. Face à une situation devenue sans issue, le Président de la République Albert Lebrun charge Philippe Pétain de former un nouveau cabinet. A en croire La Dépêche de Brest, la prise de pouvoir du « héros de Verdun » redonne immédiatement de l’espoir à des millions de Français1. Pourtant, le président du Conseil prend tout le monde de court en faisant savoir, dès le lendemain, qu’il s’est finalement adressé à « l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec [lui], entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, le moyen de mettre un terme aux hostilités »2.

Le maréchal Pétain au salon des peintres anciens combattants en 1934. Gallica / Bibliothèque nationale de France: Meurisse, 109544 A.

L’allocution sème le trouble et, parfois, l’incompréhension au sein de la population, à tel point d’ailleurs que certains se « sont refusés à reconnaître la voix même du maréchal lorsqu’il a parlé à la TSF et se sont imaginés que ce ne pouvait être qu’une manœuvre allemande truquant les ondes »3. Pour ne pas laisser place aux rumeurs, la presse quotidienne bretonne, tout du moins les titres qui paraissent en ce 18 juin 1940, cherche à l’évidence à rassurer ses lecteurs. Tout en exprimant ses propres regrets, La Dépêche de Brest estime qu’il faut malgré tout faire confiance à Philippe Pétain qui, par le passé, a prouvé qu’il était le « guérisseur » de la France4. De la même manière, L’Ouest-Eclair rappelle à ses lecteurs que l’on ne peut que s’incliner « devant l’esprit d’abnégation du grand soldat qui, après avoir connu tous les honneurs de la gloire, n’a plus qu’une ambition : servir » 5. L’ombre portée de la Grande Guerre, et singulièrement de la bataille de Verdun, est ici à son apogée6.

Mais le billet le plus personnel est incontestablement celui publié dans les colonnes du Nouvelliste du Morbihan. Vraisemblablement rédigé par le directeur de publication, Alexandre Cathrine, cet article exhorte les déçus à attendre de connaître « toutes les circonstances » qui ont amené Philippe Pétain à demander l’armistice. L’auteur est convaincu que l’avenir « dira que l’homme de Verdun, le vainqueur de Verdun, a peut-être remporté […] sa plus belle victoire »7. Alexandre Cathrine formule des propos qui semblent d’autant plus sincères que, depuis plusieurs mois, le rédacteur ne se soucie guère des consignes de « propagande » adressées par l’inefficace Centre d’information du Morbihan8.

Le maréchal Pétain lors de l'inauguration de l'ossuaire de Douaumont en 1932. Gallica / Bibliothèque nationale de France: EI-13 (2895).

Aussi importante soit-elle, l’analyse de l’allocution du maréchal Pétain n’éclipse pas l’actualité locale rendue éminemment anxiogène par l’arrivée des soldats allemands. Là encore, il faut tenter de calmer les esprits afin de ne pas renforcer le désordre ambiant. Ainsi, si les différents quotidiens rappellent les consignes de défense passive9, ils insistent surtout sur l’épineuse question de la gestion des réfugiés. Et pour cause, la présence de près de 900 000 exilés dans le grand Ouest entraîne de nombreuses tensions avec les riverains10. Dans ce climat délétère, Le Nouvelliste du Morbihan et La Dépêche de Brest publient in extenso les arrêtés préfectoraux visant à lutter contre la hausse soudaine du prix des logements11. Dans le même esprit, afin de montrer que la solidarité est indispensable, L’Ouest-Eclair salue la « générosité » exemplaire d’un ouvrier agricole qui met à la disposition de la mairie de Saint-Méloir-des-Ondes pas moins de « six sacs de pommes de terre » devant être distribués aux réfugiés12. Pour des raisons très certainement similaires, alors que la rumeur incite des milliers de citadins à quitter les villes bretonnes, aucune allusion n’est faîte au bombardement meurtrier de la gare de Rennes.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 « En attendant la décision du Gouvernement », La Dépêche de Brest, 17 juin 1940, p. 1.

2 « Le maréchal Pétain, chef du nouveau Gouvernement demande à l’Allemagne ses conditions pour la paix », L’Ouest-Eclair, 18 juin 1940, p. 1.

3 « L’appel à Pétain le guérisseur », La Dépêche de Brest, 18 juin 1940, p. 1.

4 « L’appel à Pétain le guérisseur », La Dépêche de Brest, 18 juin 1940, p. 1.

5 « Le maréchal Pétain, chef du nouveau Gouvernement demande à l’Allemagne ses conditions pour la paix », L’Ouest-Eclair, 18 juin 1940, p. 1.

6 Nous empruntons cette expression au regretté GARRAUD, Philippe, « L’ombre portée de 1914-1918 dans les années 30 », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°104, p. 17-27.

7 « La voix du chef », Le Nouvelliste du Morbihan, 18 juin 1940, p. 2.

8 Sur ce point voir EVANNO, Yves-Marie, « Le Centre d’information du Morbihan ou la difficile application d’une propagande locale durant la guerre 39-40 », En Envor, revue d'histoire contemporaine en Bretagne, n°9, hiver 2017, en ligne.

9 « Le camouflage des lumières », La Dépêche de Brest, 18 juin 1940, p. 2.

10 MEYNIER, André, « Les déplacements de la population vers la Bretagne en 1939-1940 (Travaux du Laboratoire de Géographie n° 14) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1948, 55-1, p. 129-155.

11 « Le problème du logement des réfugiés », Le Nouvelliste du Morbihan, 18 juin 1940, p. 2. « Arrêté préfectoral », La Dépêche de Brest, 18 juin 1940, p. 2.

12 « Un beau geste », L’Ouest-Eclair, 18 juin 1940, p. 2.