Commémorer le premier anniversaire du 17 juin 1940

La commémoration est un art subtil tant, mal négocié, le souvenir peut participer d’un redoutable effet boomerang. Il est du reste à peu près certain que, parfois, les autorités préféreraient ne rien faire du tout, le silence étant en certaines circonstances la meilleure garantie de sûreté. Mais il est des dates qui s’imposent comme des évidences et contraignent à la geste commémorative. Tel est ainsi le cas, à Rennes, du premier anniversaire du 17 juin 1940.

Un caporal (à gauche) et un soldat allemands sur les lieux du bombardement de la plaine de Baud du 17 juin 1940, devant un mur de ferrailles tordues. Wikicommons.

Comme partout ailleurs en France, le climat est marqué dans le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine par les conséquences d’une défaite aussi imprévisible qu’humiliante, véritable traumatisme collectif. C’est donc bien du souvenir d’une « année terrible » dont il s’agit ici, période d’autant plus trouble que Rennes se trouve en zone occupée et est à ce titre confrontée à la double tutelle de Vichy et des autorités allemandes. D’ailleurs, c’est le 17 juin 1940 que celles-ci font leur entrée dans une ville en proie aux tourments de la débâcle et, de surcroît, à ce qui est probablement le plus meurtrier des bombardements sur le territoire français pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est en effet le 17 juin 1940 que trois Stukas de la Luftwaffe prennent pour cible la gare de triage de la plaine de Baud et frappent un train chargé de munitions. L’explosion est d’autant plus importante qu’elle intervient alors que la gare est remplie de convois de réfugiés et de soldats britanniques. D’ailleurs, tous les corps n’ont pu être reconnus et le nombre de 1 000 victimes retenu par l’historiographie est en réalité, encore aujourd’hui, une estimation1.

On comprend donc que cet anniversaire soit particulièrement sensible. Au contexte national où se mêlent le souvenir de la débâcle et, avec un jour d’avance, la première commémoration de l’appel lancé le 18 juin 1940 par le général de Gaulle, s’ajoute un drame ayant durablement marqué la ville. Or, on soulignera combien l’édition du 18 juin 1941 de L’Ouest-Eclair, numéro rendant compte précisément de la commémoration organisée pour ce premier anniversaire, joue une partition délicate2. En effet, la plaine de Baud n’est pas le viaduc de Morlaix et ne peut pas, du fait de la nationalité des appareils impliqués dans cette opération, donner lieu à un discours vilipendant les bombardements alliés. Très prudemment, le journal breton évoque simplement une « explosion » et se contente d’affirmer : « Cette manifestation simple et émouvante s’était passée dans le plus grand calme ».

Propos curieux qui signe peut-être une certaine forme de soulagement des autorités tant cette commémoration, à l’évidence, a toutes les apparences d’un véritable piège. Reprenant du reste la trame narrative des articles relatant, dans les années 1920-1930, les cérémonies du 11 novembre 1918, L’Ouest-Eclair énonce, comme pour parer l’événement d’une apparence de normalité, les notabilités présentes pour l’occasion au cimetière de l’Est : un impressionnant aéropage où l’on peut reconnaitre le préfet, le maire François Château, le puissant président de l’Union nationale des combattants René Patay ou encore le directeur du quotidien La Bretagne, Yann Fouéré. Mais, la réalité est toute autre. L’historien H. Melchior a en effet bien montré, dans un article des Annales de Bretagne publié en 2017, que les autorités font tout pour dissuader la population de venir à cette manifestation, et notamment les étudiants, manifestement jugés susceptibles de causer du désordre3.

Les personnalités regroupées au cimetière de l'Est autour de Mgr Roques, évêque de Rennes. Photographie publiée le 18 juin 1941 par L'Ouest-Eclair. Gallica / Bibliothèque nationale de France.

Dès lors, par ce qu’il élude et tente de faire croire, ce bref article de L’Ouest-Eclair rappelle que le quotidien rennais est, en réalité, et ce dès les débuts de Vichy, à la solde de l’occupant. De même, cette archive souligne combien les autorités, françaises et allemandes, mesurent le caractère potentiellement subversif de ce premier anniversaire du bombardement de la plaine de Baud. Des craintes qui en disent finalement assez long sur la façon dont Vichy et les Allemands se savent acceptés par les Rennais.

Erwan LE GALL

 

 

1 KNAPP, Andrew, Les Français sous les bombes alliées (1940-1945), Paris, Taillandier, 2014, p. 27.

2 « Les autorités civiles et religieuses se sont recueillies, hier sur les tombes des victimes de l’explosion du 17 juin 1940 », L’Ouest-Eclair, 42e année, n°16 264, 18 juin 1941, p. 3.

3 MELCHIOR, Hugo, « Les Etudiants rennais à l’épreuve de l’occupation allemande », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, n°124-2, 2017, p. 106-107.