La Bretagne, zone de bombardement pendant la Seconde Guerre mondiale ?

Lorsqu’on songe aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale, le nom de villes comme Brest, Lorient ou encore Saint-Nazaire, toutes situées dans la péninsule armoricaine, arrive spontanément à l’esprit. Pourtant, le fait est que la réalité des bombardements alliés est en France, et de manière générale en Bretagne, moins dure qu’en Allemagne. Certes, des villes comme Saint-Malo ou encore Bruz, non loin de Rennes, témoignent des nombreux drames engendrés par ces opérations aériennes mais celles-ci n’ont, dans l’hexagone, pas le caractère systématique du bombardement, pour ne citer qu’un exemple, de Dresde. Il existe toutefois quatre exceptions : les trois ports bretons cités plus haut ainsi que celui de La Pallice1.

Rue de Siam, à Brest, après la Libération, les ravages des bombardements. Collection particulière.

Les bombardements aériens lors de la Seconde Guerre mondiale auraient – le conditionnel s’impose tant les statistiques disponibles dans les archives doivent être considérées avec méfiance – tué 420 000 civils en Allemagne, 57 000 en France et plus de 60 000 en Grande-Bretagne. L’historien britannique A. Knapp explique ce fait par le statut particulier de la population française d’alors, certes rattachée à Pétain mais aussi au général de Gaulle depuis le 18 juin 1940. Dès lors, les Français n’ont, ni aux yeux de Berlin, ni à ceux de Londres et Washington, le statut de « population ennemie » à écraser sous les bombes, comme peuvent l’être par exemple les Anglais pour le Reich. Le Blitz de Londres, mais aussi la ville de Coventry, peuvent en témoigner.

Cette différence, subtile mais néanmoins réelle, s’incarne dans une directive du ministère britannique de l’Air datée du 29 octobre 1942 qui opère une distinction très nette entre d’un côté les puissances de l’Axe (l’Allemagne nazie et l’Italie mussolinienne) et d’un autre côté les territoires qu’ils occupent. C’est dans cette dernière catégorie que figure la France, uniquement dans sa partie nord jusqu’en novembre 1942 puis, une fois la ligne de démarcation franchie par les Allemands, dans sa totalité (à l’exception bien entendu de l’Alsace et de la Lorraine, région annexées au Reich). Londres souhaite en effet préserver Vichy afin que Pétain et Laval ne se jettent pas dans une collaboration encore plus étroite avec Hitler. Il en résulte des opérations aériennes en France qui, pour être parfois la source de nombreux « dommages collatéraux », pour employer une expression anachronique, ont une intensité moindre, étant plus ciblées, que celles qui s’abattent sur Essen, Lübeck, Rostock ou encore Cologne, pour n’évoquer que quelques cas datant de 1942.

Quatre villes françaises, et pour être plus précis trois ports bretons et un charentais, font toutefois exception à ce principe : Brest, Lorient, Saint-Nazaire et La Pallice. Ces quatre communes ont en commun « d’accueillir » une base sous-marine allemande et de constituer, à ce titre, des centres névralgiques de la bataille de l’Atlantique. Ainsi, malgré l’exploitation politique par Vichy du bombardement du 9 novembre 1942, opération source d’une mémoire particulièrement ambigüe, la Grande-Bretagne décide le 14 janvier 1943 d’autoriser la Royal Air Force à définir elle-même le cadre des opérations qu’elle entreprend dans le ciel français. Et la directive de préciser : « même si le bombardement qui en résulte provoque la dévastation totale des zones habitées de la ville »2.

La base sous-marine de Lorient, cible des bombardements alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Collection particulière.

Eminemment meurtrières, conduisant à la destruction quasi-totale de communes, ces opérations aériennes sont qualifiées par l’historiographie de « bombardements de zone » et constituent donc, en France, une spécificité très bretonne (et charentaise). Il en résulte un ressentiment d’autant plus important parmi les populations civiles, victimes au premier chef de ces tapis de bombes, que le souvenir de ces déluges de feu est bien souvent instrumentalisé après la guerre, sur le plan politique, tant par les communistes au nom d’une logique anti-impérialiste de guerre froide que par l’extrême-droite et les nostalgiques de Vichy. C’est du reste là une partition d’autant plus aisée à interpréter que l’efficacité militaire de ces bombardements est très relative : ces opérations ne détruisent pas les bases sous-marines et n’affaiblissent nullement la Kriegsmarine. D’ailleurs, même la Résistance parvient à opérer au cœur même des alvéoles où se nichent les redoutables U-Boots, comme le rappelle l’exemple de Jacques Stosskopf à Lorient.

Erwan LE GALL

 

1 Pour de plus amples développements on renverra à KNAPP, Andrew, Les Français sous les bombes alliées, 1940-1945, Paris, Tallandier, 1940-1945.

2 Ibid., p. 91.