Un artiste trop populaire ? Mathurin Méheut

Il est des artistes dont le talent saute véritablement aux yeux, même pour les avis les moins avertis. C’est ainsi que le style et le trait inimitables du peintre Mathurin Méheut s’imposent de suite, même aux regards les plus profanes. Mais une telle maîtrise n’est pas sans inconvénients lorsque vient le temps des récupérations, parfois encombrantes.

Carte souvenir réalisée à l'occasion d'une exposition consacrée à Mathurin Méheut. Collection personnelle.

Fils d’un menuisier, Mathurin Méheut naît le 21 mai 1882 à Lamballe et présente dès le plus jeune âge de remarquables dispositions. C’est le début d’un cursus honorum artistique et républicain sans faille, de l’Ecole des Beaux-Arts de Rennes  à l’Ecole nationale des arts décoratifs de Paris en passant par l’Ecole normale d’enseignement du dessin. En 1913, il publie Étude de la mer, flore et faune de la Manche et de l'Océan, fruit d’un long travail à la station océanographique de Roscoff et qui fait l’objet d’une exposition à Paris, au Musée des arts décoratifs. C’est le début d’une certaine célébrité et le grand quotidien catholique rennais L’Ouest-Eclair n’hésite pas à s’enorgueillir de ce succès : en effet, c’est non seulement un ancien élève de l’Ecole des Beaux-Arts du chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine qui triomphe à Paris mais « un peintre breton de la mer bretonne »1.

La Première Guerre mondiale ne vient nullement rompre cette appropriation de l’œuvre de Mathurin Méheut. Mobilisé dans l’infanterie, au 136e de Saint-Lô, une unité normande donc même si elle évolue au sein d’un 10e corps centré sur Rennes, et donc la Bretagne, le peintre sort progressivement du lot jusqu’à conquérir ses galons d’officier et intégrer un service topographique. Pour autant, aussi atroce qu’il soit, le conflit ne constitue pas une parenthèse dans la carrière du peintre. Au contraire même. L’artiste continue en effet à produire, malgré des conditions de travail qu’on imagine peu propices au croquis. Sa correspondance, parsemée d’esquisses, montre que non seulement Mathurin Méheut n’a rien perdu de son inspiration mais que son style et son trait sont encore plus assurés. L’Illustration ne s’y trompe d’ailleurs pas et publie en août 1916 quelques-uns de ses dessins. Le Lamballais devient alors l’un des plus emblématiques peintres combattants bretons de la Grande Guerre, avec Jean-Julien Lemordant et Camille Godet. C’est le début d’une carrière fulgurante. Peintre officiel de la Marine, professeur enseignant dans des établissements aussi prestigieux que les écoles Boulle et Estienne, Mathurin Méheut enchaîne dans les 1920-1930 les commandes, les supports et les succès : de nombreuses expositions mais aussi des livres et des décors de paquebots, notamment le Ville d’Alger lancé en 1935 à Saint-Nazaire.

Il est vrai que le conflit est une expérience structurante pour Mathurin Méheut. Peintre de la nature, il croque ses compagnons d’armes et, plus largement, à la faveur du gigantesque brassage social qu’entraîne la mobilisation générale, les gestes anodins, quotidiens, des poilus. C’est le début d’une peinture quasiment ethnographique où le fils d’artisan devenu membre d’une certaine élite artistique retourne à la rencontre du peuple et de ses modes de vie. C’est cette formule, indissociable d’une certaine nostalgie envers un monde qui, d’une certaine manière, est en train de s’effacer devant le modernisme, qui fonde la peinture du Breton.

Carte personnalisée pour André Grall. La gravure, en bleu-gris, représente une scène de bénédiction. Hommes et femmes en costume sont debout ou assis. Le curé est en train de lire. © ADAGP, Paris, 2017 via Musée de Bretagne.

De tels thèmes de travail ne peuvent pas laisser insensible le gouvernement de Vichy et sa Révolution nationale, programme idéologique certes très flou mais prônant un retour à cette terre « qui, elle, ne ment pas ». C’est ainsi qu’en mars 1944 Jean des Cognets encense les Vieux métiers bretons, ouvrage publié par Florian Le Roy et illustré par Mathurin Méheut : « Ce beau livre est aussi un Monument, élevé par deux grands artistes bretons, petits-fils d’artisans, à l’honneur de l’Artisanat et de la Bretagne »2. On ne sait comment réagit l’artiste à cette récupération. A la différence d’un Roger Vercel, avec qui il collabore dans le milieu des années 1950, Mathurin Méheut ne se compromet nullement avec Vichy. On sait même sa proximité avec le géologue Yves Million, président du Comité de libération de Rennes et bientôt élu maire du chef-lieu d’Ille-et-Vilaine. Nul ne peut être tenu garant de ses admirateurs, quand bien même ceux-ci seraient encombrants.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « Un ancien de notre Ecole des Beaux-Arts », L’Ouest-Eclair, 15e année, n°5438, 15 septembre 1913, p. 4.

2 COGNETS, Jean des, « Vieux métiers bretons », L’Ouest-Eclair, 45e année, n°17104, p. 1.