Un résisto-vichyssois ? Hervé de Penfentenyo et le combat des Cinq Chemins

Curieuse et difficilement saisissable trajectoire que celle du vice-amiral Hervé de Penfentenyo de Kerverguen. Pourtant, la mémoire collective semble voir en cet officier général de la marine française une belle figure d’opposant aux Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est en tout cas la teneur des discours prononcés en 2015 lors de l’inauguration, à Guidel, non loin de Lorient, d’un carrefour giratoire à son nom, 75 ans après d’héroïques combats menés en cette localité1. Or la réalité est sans doute un peu plus complexe que cela. On connaissait en effet les vichysso-résistants qui, à l’instar de François Mitterrand, mènent une réelle action clandestine tout en servant, pendant quelques temps au moins, le régime de Pétain. Et bien voici l’étrange parcours d’un résisto-vichyssois, maréchaliste convaincu que la mémoire n’hésite pourtant pas à qualifier de « résistant ».

A Lorient, la préfecture maritime. Carte postale, collection particulière.

Né le 14 août 1879 dans une famille d’aristocrates breton, Hervé de Penfentenyo emprunte très vite le sillage des traditions familiales : comme son père et son grand-père, il sera officier – général – de marine. Sorti de l’Ecole navale en 1897, il sert donc la France sur tous les océans, en mer de Chine pendant la révolte des Boxers, en Méditerranée pendant la Première Guerre mondiale... Brillant, son parcours n’en est pas moins très classique, alternant postes à terre et commandements en mer, jusqu’à devenir contre-amiral en 1931, puis vice-amiral d’escadre en 1939.

La Seconde Guerre mondiale le trouve préfet maritime en poste à Lorient. Dans le port morbihannais, Hervé de Penfentenyo observe tout d’abord la « drôle de guerre » puis, impuissant, assiste à la percée de Sedan et à l’irréversible repli vers cette tentative désespérée que l’on appellera « le réduit breton ». Puis il se jette dans la bataille. En tant que gouverneur de la ville, il est responsable de la défense de Lorient et prend trois mesures importantes. En premier lieu, il ordonne l’évacuation des navires amarrés dans la rade vers l’Angleterre et Casablanca, au Maroc, afin qu’ils ne puissent profiter aux Allemands, aux portes du département. Ensuite, et dans le même esprit, il fait incendier les immenses cuves remplies de 10 000 litres de mazout de Lanester et de Keroman, pour que ce carburant ne puisse pas servir à l’envahisseur. Enfin, il décide, le 21 juin 1940, d’un ultime combat, au lieu-dit des Cinq Chemins, à Guidel, véritable baroud d’honneur avant la reddition de Lorient2.

Cet événement marque un véritable tournant dans la vie d’Hervé de Penfentenyo. En effet, à l’issue de ces combats, il est fait prisonnier par les Allemands et est transféré à la citadelle de Königstein, où il est interné en compagnie du général Giraud. La captivité de l’amiral n’est cependant que de courte durée puisqu’il est libéré à la fin du mois de juin 1941. C’est toutefois à partir de ces quelques semaines que l’officier gagne une image de « résistant » aux Allemands, acceptation qui doit ici moins se comprendre au sens de Résistance, c’est-à-dire de mouvement clandestin de lutte contre l’occupant, que d’opposition à l’envahisseur. C’est bien en effet en tant que militaire, agissant de surcroît en application d’ordres reçus du chef d’état-major de l’amiral Darlan, qu’Hervé de Penfentenyo mène le combat des Cinq Chemins.

Cette image de « résistant » aux Allemands s’ancre d’autant plus durablement dans la mémoire collective que le vice-amiral d’escadre est une authentique victime des nazis. En effet, alors que de retour de captivité il réside à Nantes, il est interpellé à 19h30, à son domicile, par l’occupant. Accusé d’avoir participé à des réunions non-autorisées, il est transféré à Angers puis à Fribourg-en-Brisbau pour être jugé par le Tribunal de guerre du Reich à Berlin3. Après une parodie de procès débuté en août 1944, il est condamné à six mois de prison puis est placé en détention jusqu’en mai 1945, étant « confié à la garde du Reichsführer SS Himmler ».

En 1959, lors d'une cérémonie commémorative, Hervé de Penfentenyo salue Louis Cren, Maire de Lorient en 1940. Collection particulière.

Pourtant, le parcours d’Hervé de Penfentenyo est beaucoup moins limpide que ne le suggèrent ces quelques éléments biographiques. Militaire de carrière, il passe l’essentiel de sa vie à servir la France et n’éprouve manifestement que peu de sympathies pour l’occupant. C’est ainsi qu’au cours des réunions non-autorisées qui conduisent à son arrestation il critique la conduite des Allemands à Toulon, après que la flotte se soit sabordée, et aime à lire la dernière lettre d’un otage fusillé. De même, il anticipe le remplacement du chef de l’Etat français par une sorte de « super Gauleiter », manière visiblement de dénoncer la mainmise de l’occupant. Mais la Seconde Guerre mondiale ne peut se résumer  une affaire de patriotisme, elle est aussi question d’idéologie. Et de ce point de vue, la trajectoire d’Hervé de Penfentenyo est beaucoup moins aisément lisible. En effet, non seulement il ne semble jamais prendre contact avec la Résistance, qu’il s’agisse des réseaux et mouvements de l’intérieur ou de la France Libre, à Londres, mais il continue jusqu’à son arrestation de vanter les mérites de Darlan et Weygand. Mieux, il obtient des responsabilités à Vichy en étant nommé, par le maréchal Pétain en personne, vice-président du Comité consultatif de la famille. C’est à ce titre qu’on lui doit, notamment, le Manuel du père de famille, ouvrage publié en 1941 chez Flammarion et qui renvoie parfaitement à la philosophie de la Révolution nationale. La devise de Vichy n’est-elle en effet pas « Travail, Famille, Patrie » ?

Erwan LE GALL

 

 

 

1 On pourra se rapporter à la délibération du Conseil municipal de Guidel dénommant ce carrefour en l’honneur d’Hervé de Penfentenyo, la biographie présentée à l’occasion étant particulièrement révélatrice d’une mémoire si ce n’est sélective, éminemment lacunaire.

2 Pour de plus amples détails se rapporter à LEROUX, Roger, Le Morbihan en guerre 1939-1945, Mayenne, Imprimerie Joseph Floch, 1978, p. 18-27.

3 Pour de plus amples détails se rapporter à GERHARDS, Auguste, Tribunal de guerre du IIIe Reich. Des centaines de Français fusillés ou déportés. Résistants et héros inconnus. 1939-1945, Paris, Le Cherche Midi, 2014.