Le Proche et le Moyen-Orient dans la guerre froide

De la même manière que le Proche et le Moyen-Orient se révèlent être dans la première moitié du XXe siècle un bon révélateur des tensions qui traversent l’Europe, la région se comprend par rapport au rapport des forces nées de la Guerre froide. Autrement dit, cet espace devient très vitre un espace privilégié d’affrontements entre les deux grands que sont Moscou et Washington, même si le combat se mène à distance, de manière indirecte.

Caricature de Leslie G. Illingworth, publiée dans le journal britannique Daily mail, le 29 octobre 1962

La rivalité Est-ouest

Sorties exsangues de la Seconde Guerre mondiale, confrontées de surcroît aux affres de la décolonisation, la France et la Grande-Bretagne n’ont plus les moyens de peser dans la région. Mais celle-ci, du fait du nouveau contexte géopolitique engendré par la Guerre froide, n’en continue pas moins du susciter des appétits.

Un nouvel acteur : les USA

En 1945, les puissances européennes sont supplantées dans cette région du monde par les Etats-Unis. Il y a là une différence majeure avec la fin de la Première Guerre mondiale où les USA reviennent à leur traditionnel illusionnisme du fait de désaccords sur le Traité de Versailles et le fonctionnement de la SDN.

Le 14 février 1945, de retour de la conférence de Yalta, le président F.D. Roosevelt rencontre Ibn Saoud et les deux hommes nouent un partenariat stratégique connu sous le nom de pacte du Quincy, du nom du croiseur américain sur lequel est conclu l’accord. L’Arabie Saoudite fournira du pétrole en échange de la protection américaine. Les Etats-Unis s’appuient également sur la Turquie, qui devient membre de l’OTAN en 1952, ainsi que sur l’Iran.

Les accords du Quincy entre Ibn Saoud et Roosevelt, le 14 février 1945. Wikicommons.

Washington prend donc méthodiquement place dans la région, s’assurant des positions particulièrement stratégiques permettant un contrôle sur les gigantesques réserves pétrolières de la péninsule arabique ou encore sur l’accès à la Méditerranée. Cette stratégie, qui contribue au sentiment d’encerclement de Moscou, est parachevée en 1955 avec le pacte de Bagdad : avec ce texte, également signé par le Royaume-Uni, la Turquie, l’Irak mais aussi l’Iran et le Pakistan intègrent officiellement le bloc de défense nord-américain. Pour Washington, il s’agit bien d’endiguer la menace communiste : c’est la stratégie du containment.

L’œil de Moscou

De son côté, l’URSS, pour prendre pied dans la région, soutient le nationalisme arabe contre les puissances coloniales. C’est ainsi par exemple que la guerre d’Algérie, d’une certaine manière et à l’instar de ce qui avait pu se produire en Indochine, s’internationalise dans un contexte de Guerre froide.

Les vieilles puissances d’antan que sont Paris et Londres relèvent désormais d’une période révolue. La date du 8 mai 1945 en est un bon exemple. Alors que la population algérienne célèbre la victoire sur le nazisme, la France réprime dans le sang, tout particulièrement à Sétif et Guelma, les manifestations qui réclament également la libération du leader nationaliste Messali Hadj, chef du Parti populaire algérien, et plus largement l’indépendance.

Extrait des Actualités françaises, 1er août 1956.

Alors que la France vient d’être défaite en Indochine, le « coup de Suez » montre bien la perte d’influence des vieilles puissances mandataires. En 1956, le colonel Nasser, président de l’Égypte, nationalise le canal de Suez car les pays occidentaux refusent de payer pour le barrage d’Assouan, équipement susceptible d’assurer l’indépendance énergétique du pays. Le 29 octobre 1956, il est attaqué par la France, le Royaume-Uni, et Israël qui mettent en déroute son armée. Moins d’un mois plus tard, Moscou et Washington obligent les agresseurs à évacuer l’Égypte, laissant la place à un contingent de Casques bleus et offrant ainsi une victoire diplomatique à Nasser. L’Angleterre et la France sont définitivement évincées du Proche-Orient. Pendant ce temps, Moscou s’implante également en Syrie et au Yémen.

Extrait du journal télévisé de l'ORTF, 9 novembre 1956.

Le conflit israélo-palestinien

La Guerre froide s’invite également dans le conflit israélo-palestinien, chaque partie recevant l’appui plus ou moins direct de l’un des deux blocs.

Un leader régional : Israël

Malgré l’affaire de Suez, qui aurait pu s’avérer encore plus désastreuse pour elle, Israël devient le principal allié des États-Unis au Proche-Orient. Le pays reçoit une importante aide économique et surtout militaire. Cette protection se double d’un volet diplomatique puisque les USA utilisent systématiquement leur veto au Conseil de sécurité des Nations Unies pour empêcher toute condamnation de l’État hébreu.

En 1967, Israël attaque l’Égypte, la Syrie et la Jordanie. En 6 jours, d’où le nom donné à ce conflit, du 5 au 10 juin 1967, les Israéliens occupent la Cisjordanie (avec Jérusalem-Est), le Golan, Gaza et le Sinaï. L’ONU vote la résolution 242 qui demande la restitution des territoires en échange de la paix et d’une reconnaissance d’Israël par ses voisins.

Panarabisme et mouvement palestinien

Le 22 mars 1945, l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Irak, le Liban et la Syrie créent la Ligue arabe. Cette organisation, que rejoindront plus tard le Yémen, la Libye, le Maroc, le Soudan ou encore la Tunisie, entend renforcer les liens entre les pays membres, tant du point de vue politique qu’économique. La Ligue arabe apporte son soutien à la cause des arabes de Palestine. Renforcé par le « coup de Suez », Nasser entend toutefois aller encore plus loin. Le 1er janvier 1958, l’Egypte et la Syrie fusionnent en une seule et même République arabe unie, premier pas vers un futur état panarabe. L’expérience tourne toutefois rapidement court et la Syrie,  à la faveur d’un coup d’état, quitte la République arabe unie et par la même occasion en signe l’acte de décès.

Yasser Arafat, à gauche, avec Anouar el Sadate, à droite. Photographie de presse. Collection particulière.

A la suite de la guerre des Six jours, Yasser Arafat, chef du FATAH (mouvement de libération palestinien membre de l’Internationale socialiste et fondé en 1959), profite de la défaite des États arabes pour prendre son autonomie. Il prend la direction de L’Organisation de Libération de la Palestine en 1969 (OLP, structure qui fédère tout un ensemble d’organisations dont le FATAH) et il lance des opérations de guérilla contre Israël depuis la Jordanie.

En Septembre 1970 (Septembre Noir), les combattants palestiniens sont chassés de Jordanie et ils s’installent au Liban où la guerre civile approche. Les Palestiniens se lancent dans le terrorisme (prise d’otages aux Jeux Olympiques de Munich de 1972, détournements d’avions). En 1973, c’est la « guerre de Kippour » : l’Égypte (dirigée par Anouar El Sadate) et la Syrie (dirigée par Hafez El Assad) attaquent Israël le jour du Yom Kippour. L’État hébreu parvient difficilement à les repousser grâce à l’aide des Etats-Unis. Pour soutenir les Etats arabes, les pays de l’OPEP augmentent brutalement le prix du pétrole (premier choc pétrolier).

De gauche à droite: Anouar el Sadate, Jimmy Carter et Menhem Begin lors des accords de Camp David.

En 1978, Sadate et l’Israélien Begin signent la paix à Washington (Accords de Camp David). L’Egypte récupère ses territoires perdus. Mais elle est exclue de la Ligue arabe et Sadate est assassiné en 1981 par des extrémistes religieux musulmans. En 1982, Israël attaque le Liban et encercle les Palestiniens dans Beyrouth. Arafat et ses hommes quittent le Liban. Mais Israël laisse ses alliés chrétiens massacrer les civils palestiniens des camps de Sabra et Chatila.

La montée des mouvements théocratiques

Parallèlement à l’influence socialiste, donc matérialiste et théoriquement athée, se développent dans la région des mouvements théocratiques connus aujourd’hui comme étant islamistes. Il s’agit d’une idéologie qui prône que l’action politique s’appuie sur le Coran. L’islamisme peut prendre une forme conservatrice au service du pouvoir comme c’est le cas avec la wahabites en Arabie saoudite, ou une forme révolutionnaire comme avec les Frères musulmans égyptiens qui veulent renverser un pouvoir corrompu.

L’ayatollah Khomeiny. Photographie de presse. Collection particulière.

L’islamisme se développe dans les années 1970. Les islamistes acquièrent une grande audience car ils dénoncent la misère, la dictature, la corruption et l’absence de développement. Ils dénoncent l’Occident et ses valeurs et affirment défendre la culture arabo-islamique. En 1979, l’Iran (chiite) connaît une révolution. L’ayatollah Khomeiny renverse le Shah et instaure une république islamique où le pouvoir est confisqué par le clergé. Le régime se renforce quand l’Irak baassiste de Saddam Hussein attaque l’Iran. En 1979, l’URSS envahit l’Afghanistan et des Moudjahidins (combattants) affluent de tout le monde musulman pour combattre le communisme athée. Les Djihadistes s’impliquent dans tous les conflits de libération nationale (naissance du "Hamas" palestinien) et ils sont soutenus financièrement par les pétromonarchies du Golfe Persique.

Chronologie indicative

14 février 1945 : Pacte du Quincy.

22 mars 1945 : Création de la Ligue arabe.

8 mai 1945 : Massacres de Sétif, Guelma et Kherrata.

26 juin 1945 : Note adressée par l’URSS à la Turquie sur un éventuel traité d’alliance : Staline exige un retour à la frontière de 1914 et l’installation de bases soviétiques dans les détroits afin de garantir son accès à la Méditerranée.

6 août 1945 : Bombardement d’Hiroshima. Début de l’ère nucléaire.

18 novembre 1945 : L’URSS occupe l’Azerbaïdjan iranien.

5 mars 1946 : Discours de Fulton. Winston Churchill affrime : « De Stettin dans la Baltique jusqu'à Trieste dans l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent ».

25 mars 1946 : Les troupes soviétiques évacuent l’Iran.

12 mars 1947 : Doctrine Truman. Devant le Congrès, le président américain plaide pour une rupture avec la tradition isolationniste des USA et pour la politique du containment, visant à fournir une aide financière et militaire aux pays menacés par l’expansion soviétique.

5 mai 1947 : Fin du tripartisme en France et renvoi des ministres communistes.

5 juin 1947 : Lancement du Plan Marshall.

15 août 1947 : Indépendance de l’Inde et du Pakistan, anciens joyaux de l’Empire britannique.

22 septembre 1947 : Doctrine Jdanov divisant le monde en deux camps irréductibles, un camp «impérialiste et anti-démocratique» dirigé par les États-Unis et un camp «anti-impérialiste et démocratique» dirigé par l’URSS.

29 novembre 1947 : Plan de partage de la Palestine par l’ONU.

17 mai 1948 : Proclamation de l’Etat d’Israël, immédiatement reconnu par les USA.

12 mai 1949 : Fin du Blocus de Berlin.

28 avril 1951 : Tout nouveau Premier ministre, Mohammad Mossadegh nationalise le pétrole iranien.

5 mars 1953 : Mort de Staline.

7 mai 1954 : Chute de Diên Biên Phu. La France perd la guerre d’Indochine.

11 novembre 1954 : Toussaint rouge en Algérie.

24 février 1955 : Le pacte de Bagdad, également signé par le Royaume-Uni, la Turquie, l'Iran, le Pakistan, intègre officiellement l'Irak au bloc de défense nord-américain.

18 avril 1955 : Ouverture de la conférence de Bandung.

2 mars 1956 : Indépendance du Maroc.

20 mars 1956 : Indépendance de la Tunisie.

26 juillet 1956 : Nationalisation du canal de Suez.

5 novembre 1956 : Débarquement franco-britannique à Port-Saïd.

6 novembre 1956 : Cessez-le-feu en Egypte. La France et la Grande-Bretagne reculent face aux pressions américano-soviétiques.

5 janvier 1957 : Doctrine Eisenhower pour le Proche Orient. Devant le Congrès, le président américain obtient l'autorisation d'apporter une aide financière ou militaire à un État du Moyen-Orient agressé par un pays contrôlé par le « communisme international ».

11 février 1957 : Proposition soviétique de neutralisation du Proche-Orient.

1er janvier 1958 : L’Egypte et la Syrie créent la République arabe unie.

29 mai 1958 : A la faveur de la crise algérienne, retour au pouvoir du général De Gaulle.

14 juillet 1958 : En Irak, renversement du régime pro-occidental du Roi Fayçal II, petit-fils du roi Fayçal

15 juillet 1958 : Intervention américaine au Liban à la demande du président libanais Camille Chamoun. Le pays est en effet profondément divisé entre chrétiens pro-occidentaux et musulmans favorables à la République arabe unie et hostiles au pacte de Bagdad. .

1er janvier 1960 : Indépendance du Cameroun suivie dans le cours de l’année de la plupart des pays d’Afrique francophone.

16 mai 1960: Echec du sommet de Paris suite à l'affauire de l'U2.

14 septembre 1960 : Création de l’Organisation des pays producteurs de pétrole.

5 janvier 1964 : Voyage du pape Paul VI au Moyen-Orient où il délivre, notamment à Jérusalem, un message de paix.

28 mai 1964 : Création de l’Organisation de libération de la Palestine, institution dirigée par Ahmad Shuqairi et représentant les intérêts des Palestiniens ayant quitté les territoires occupés par Israël. Sont regroupées sous la bannière  de l'OLP les deux principales organisations de libération de la Palestine, soit : le Mouvement de libération de la Palestine (Fatah) de Yasser Arafat et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) de Georges Habache. L'OLP est soutenue financièrement par la Ligue arabe et l'Égypte de Gamal Abdel Nasser.

5 juin 1967 : Début de la guerre des Six jours.

26 octobre 1967 : Couronnement du chah d’Iran, apogée à Téhéran de ce régime pro-occidental.

17 juillet 1968 : En Irak, le parti Baas, acquis au panarabisme, s'empare du pouvoir.

1er septembre 1969 : Le colonel Mouammar Kadhafi renverse en Libye le roi Idris 1er.

12 mars 1971 : Plébiscite national en Syrie portant le général Haffez El Assad au pouvoir, après un coup d’état.

5 septembre 1972 : A Munich, pendant les Jeux olympiques, le groupe terroriste palestinien « Septembre noir » prend en otage la délégation israélienne.

17 juillet 1973 : A Kaboul, proclamation de la République d’Afghanistan à la suite de la chute du Mohammed Zaher Chah renversé par un coup d’état.

6 octobre 1973 : Début de la guerre du Kippour.

14 octobre 1973 : Elections législatives en Turquie. Retour relatif à la démocratie.

13 avril 1975 : Déclenchement d’une guerre civile au Liban qui ne s’achèvera qu’à la fin des années 1980. Les causes de ce conflit sont multiples : opposition entre majorité musulmane et minorité chrétienne mais aussi détérioration de l'économie qui accentue un sentiment d'inégalité alimentant le radicalisme chez les musulmans. Par ailleurs, la présence de troupes palestiniennes dans le sud du pays, et leurs combats avec l'armée israélienne, contribuent à créer une situation explosive qui dégénère à la suite d'incidents armés entre milices chrétiennes et musulmans.

20 novembre 1977 : Allocution historique d’Anouar el-Sadate devant la Knesset. Même si les désaccords entre Egypet et Israël, notamment sur la question palestinienne, sont encore nombreux, le simple fait que ces deux pays lève une barrière psychologique importante.

17 septembre 1978 : Signature des accords de paix  de Camp David entre Israël et l’Egypte.

1er février 1979 : Retour d’exil de l’ayatollah Khomeiny à Téhéran. Instauration en Iran d’une république islamique.

16 juillet 1979 : En Irak, Saddam Hussein remplace Hassan al-Bakr à la présidence de la République et devient l'homme fort du pays.

20 novembre 1979 : Attaque de la Grande mosquée de la Mecque par des fondamentalistes musulmans guidés par Mohammed Abdullah al-Kahtani. Se proclamant « messie islamique », il préconise le rejet de l’influence occidentale en Arabie Saoudite et une adhésion strict aux préceptes de l’Islam basée sur une lecture littérale du Coran. Plus de 150 personnes perdent la vie pendant les combats.

27 décembre 1979 : Intervention militaire soviétique en Afghanistan.

22 septembre 1980 : Début de la guerre Iran-Irak. Le conflit dure 8 ans et fait près d’un million de morts.

6 octobre 1981 : Anouar el-Sadate est assassiné par un commando de fondamentalistes musulmans alors qu’il assiste à un défilé militaire.

9 décembre 1987 : Soulèvement dans la bande de Gaza et en Cisjordanie de la population palestinienne face aux troupes israéliennes. C’est la première intifada.

9 novembre 1989 : Chute du mur de Berlin.