11 juillet 1962, en direct d’Andover à vous Pleumeur-Bodou !

En ce début de XXIe siècle, avec la croissance exponentielle d’internet, la télévision est  devenue un objet  banal, si ce n’est ringard...  Pourtant, il y a à peine plus de 50 ans, du temps où les speakerines étaient les véritables stars du petit écran, la télévision était le média qui représentait  la high-tech. Dans ces années 1960, chaque nouvelle avancée technologique se transforme  en événement. A ce petit jeu, le 11 juillet 1962, « à 0h49 », c’est vers le bourg breton de Pleumeur-Bodou que tous les regards des téléspectateurs se tournent : la Mondovision est née !

La vedette des salons. Carte postale. Collection particulière.

C’est le satellite Telstar qui permet la prouesse de retransmettre sur les écrans français une émission télévisée américaine. Ce  dernier est « une sphère de 50 cm de diamètre, revêtue de 3 600 cellules photoélectriques destinées à capter l'énergie solaire » qui pèse « 77 kilos »1. Il a été lancé la veille depuis Cap Canaveral à bord d’une  « fusée Thor-Delta ». Une fois le satellite en orbite, le « radar de détection » de « la station française de Pleumeur-Bodou, près de Lannion » se met  à « fouiller le ciel ». Là, dans ce  coin de  campagne trégoroise,  on pourrait se croire dans  un film de science-fiction de l’époque : d’immenses radars tournoient sur eux-mêmes et une boule géante faite de « matière plastique de 50 mètres de rayon » est  posée au milieu des champs, telle une soucoupe volante.

Le radôme de Pleumeur-Bodou est né de la volonté d’un  homme du pays : Pierre Marzin. A  partir de 1959, cet ingénieur en télécommunications fait de sa région natale de Lannion la nouvelle terre  de développement du Centre national d'études des télécommunications (CNET) qu’il dirige. C’est en 1961 que le site de Pleumeur-Bodou est choisi pour l’implantation du Centre de télécommunications par satellite (CTS). En ce 11 juillet 1962, le radôme est en pleine ébullition :

« Le cerveau électronique collationne les renseignements qui permettent de situer exactement le satellite. Enfin, les signaux du satellite se laissent capter, le contact est établi. Le deuxième radar entre en action pour assurer un pointage plus précis, à 2/100e de degrés près, nécessaire à la bonne réception des émissions relayées par Telstar. Sous la sphère de matière plastique de 50 mètres de rayon, une énorme oreille métallique de 340 tonnes pivote pour recevoir ces émissions. »

C’est à « l'occasion de son sixième passage [que] le satellite put être capté à la fois par l'Europe et les Etats-Unis. La première émission de télévision transocéanique prévue à Andover aux USA, devenait possible ». A « 0h49 la première image apparaissait. Pour la première fois, une image de télévision était transmise, en direct, d'un continent à l'autre ».

Le Centre de télécommunications par satellite de Pleumeur-Bodou. Carte postale. Collection particulière.

Au final, cet événement peut être lu  à travers plusieurs grilles de  lecture. C’est tout d’abord une étape importante dans l’histoire de la télévision, qui permet d’envisager qu’avec « plusieurs satellites identiques à Telstar, il sera désormais possible de suivre quotidiennement dans son fauteuil des émissions venues d'un autre continent, en direct de New-York ou de Tokyo, le plus simplement du monde ». Mais d’un point  de vue politique, cela marque une étape dans la conquête de la New Frontier (Nouvelle frontière) chère au président américain Kennedy.  En effet, avec ce  concept énoncé  au moment de son investiture, suite à sa victoire dans l’élection  présidentielle de 1960,  il  entend notamment faire de la science et de  la conquête de l’espace des moyens pour relier les peuples entre eux,  tout en asseyant la prédominance de l’Oncle Sam face à l’ogre soviétique. A l’échelle de la Bretagne, la réussite de cette première Mondovision, en  plein cœur du Trégor, est saluée par le président Charles de Gaulle, le 19 octobre 1962, lors de  l’inauguration d’un menhir-souvenir de  l’événement. Un geste et des discours  qui participent à la construction d’un discours de la modernité  bretonne  dans les années 1960.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « La réception de la première Mondovision », Les Actualités françaises, 18/07/1962, en ligne.