Pierre Marzin, homme du Trégor et de télécommunications

La modernisation de la Bretagne au cours des Trente glorieuses est avant tout une affaire d’hommes : autour du CELIB qui rassemble des élus de tous bords, notamment Tanguy Prigent et René Pleven ; mais également des personnalités de la « société civile », dont l’ingénieur Pierre Marzin qui a beaucoup œuvré pour son Trégor natal, avec le développement des télécommunications, dont le radôme de Pleumeur-Bodou est le symbole.

A gauche, Pierre Marzin, dans les années 1960. Collection particulière.

Pierre Marzin naît à Lannion, le 24 octobre 1905. Son père possède une entreprise de machinisme agricole florissante. Le jeune homme poursuit une scolarité brillante qui l’amène du collège de Lannion, jusqu’à son entrée à la prestigieuse Ecole polytechnique en 1925. Ingénieur, il se spécialise dans les télécommunications, une technologie qui en est encore à ses balbutiements, mais qui représente ce que l’on pourrait appeler « l’avenir ». En 1928, il débute une carrière aux services de recherche de l'administration des postes et des télécommunications. Il met au point plusieurs innovations au cours de la décennie 1930 : la « pastille Marzin » qui est une membrane pour les combinés téléphoniques, ou le « système Marzin à courant porteur simplifié ». Même quand la Seconde Guerre mondiale éclate, Marzin ne quitte pas son domaine d’expertise. Au sein de la Résistance, il participe notamment à des opérations destinées à assurer les transmissions à la fin de l’occupation allemande.

A la Libération, sa carrière connaît une ascension, en étant promu ingénieur général des télécommunications. Dès 1946, il prend la tête de la Direction des Recherches et du Contrôle Technique des PTT. Ce service devient le Centre national d'études des télécommunications (CNET) en 1954. C’est à cette époque – avant de devenir Directeur Général des Télécommunications en 1968 – que Pierre Marzin profite de la politique de déconcentration pour faire de sa région natale un pôle d’excellence en matière de télécommunications. Sa première décision en la matière est de déménager à Lannion le siège du CNET, en 1959, en provenance d’Issy-les-Moulineaux. La cité trégoroise n’est alors qu’une petite sous-préfecture sans importance, peu industrialisée. L’arrivée du CNET, c’est aussi l’installation d’une nouvelle population d’ingénieurs, ainsi que l’émergence d’une industrie spécialisée, dont Sle-Citerel qui deviendra par la suite CIT-Alcatel. En 1961, le site de Pleumeur-Bodou – une commune littorale de la côte de granit rose située entre Trébeurden et Perros-Guirec – est choisi pour accueillir le Centre de télécommunications par satellite (CTS). Le 11 juillet de l’année suivante, le radôme de Pleumeur-Bodou est l’acteur d’une première mondiale : une communication transatlantique via le satellite Telstar 1. Quelques mois plus tard, le 19 octobre 1962, Pierre Marzin accueille en grandes pompes le Général de Gaulle, venu inaugurer cet outil de pointe. Pierre Marzin cumule à cette époque les honneurs – Commandeur de l’ordre du Mérite postal en 1953, Grand officier de la Légion d’Honneur en 1961 –, ainsi que les postes : membre du Conseil supérieur de la recherche scientifique et technique, du comité de l'espace (1961-1967), du conseil d'administration de l'Institut de recherche en informatique et en automatique de (1967-1970), entre autres.

En 1971, Pierre Marzin se lance dans une nouvelle carrière, politique cette fois-ci, mais les télécommunications ne demeurent jamais loin. Au mois de mars, il est élu maire de Lannion sur une liste rassemblant du centre-gauche à la droite. Sa ville est alors entièrement tournée vers sa nouvelle vocation. De plus en plus d’industries s’implantent et embauchent « à tour de bras ». L’IUT créé un an plus tôt, compte près de 600 étudiants. La démographie lannionaise connaît un véritable boom, passant de 12 535 habitants au recensement de 1968, à 16 867 en 1975. La sous-préfecture vit alors un véritable âge d’or. Dans la foulée des municipales, Marzin est également élu sénateur au mois de septembre 1971. Il siège sur les bancs du groupe Gauche démocratique et participe activement à la vie du Sénat, en tant que spécialiste des télécommunications. Il rédige alors plusieurs rapports concernant l’avenir des PTT. En outre, en 1978, il fait partie de la commission d’enquête sénatoriale sur le drame de l’Amoco Cadiz, du nom de ce pétrolier qui a souillé les côtes bretonnes, dont celles du Trégor chères à Marzin. Au cours de son mandat, il fait montre d’une vision  progressiste de la société en votant pour plusieurs réformes giscardiennes emblématiques, dont l’abaissement de l'âge de la majorité à dix-huit ans et la loi Veil relative à l'interruption volontaire de grossesse en 1974. Cependant, son engagement politique est celui de mandats uniques. Un socialiste, Pierre Jagoret, lui succède à la mairie de Lannion en mars 1977. Puis en septembre 1980, il décide de ne pas conserver son siège de sénateur. Cette décennie est d’ailleurs celle de la retraite pour Pierre Marzin, alors que Lannion connaît des crises successives dans son industrie des télécommunications, malgré le développement du Minitel, en collaboration avec le CCETT (Centre commun d'études de télévision et télécommunications) basé à Rennes.

La célèbre radôme de Pleumeur-Bodou. Carte postale. Collection particulière.

Décoré de la Grand-Croix de l'ordre national du Mérite par le président de la République, François Mitterrand, en 1988 ; Pierre Marzin s'éteint le 2 août 1994 à son domicile parisien. C’est une des figures majeures du développement des télécommunications à l’échelle française et de la modernisation de la Bretagne qui disparaît sur la pointe des pieds, tant sa mémoire ne semble pas bénéficier de l’œuvre accomplie de son vivant.

Thomas PERRONO