Des boat-people rennais en 1979

Depuis le milieu du XIXe siècle, la Bretagne est considérée comme une terre d’émigration plus que d’immigration. Pourtant, la péninsule armoricaine sait également se faire lieu d’accueil pour les populations en quête d’asile. Au mois d’août 1914, ce ne sont pas moins de 10 000 réfugiés – Belges pour la plupart – qui débarquent ainsi en gare de Rennes, en quelques jours. Moins de vingt ans après, entre 1937 et 1939, ce sont près de 21 000 réfugiés républicains espagnols qui transitent par la région. Quatre décennies plus tard, c’est l’invasion du Cambodge par le Vietnam qui pousse des centaines de milliers de Khmers sur les routes de l’exil. On estime ainsi qu’entre 1975 et 1985, 150 000 réfugiés en provenance d’’Asie du Sud-est débarquent en France. Parmi ceux-ci, un peu plus d’un millier sont accueillis à Rennes. Le 17 septembre 1979, le journal télévisé d’Antenne 2, présenté par Patrick Poivre d’Arvor, par à la rencontre d’une de ces familles afin de « savoir comment une famille cambodgienne s’était intégrée en France »1.

Un groupe de boat people près d’un porte-avions américain, 15 mai 1984. Wikicommons / James Franzen.

La famille Than est « à Rennes depuis deux ans […] ils ont réussi à parvenir en France, sans argent, sans bagage ». Une famille de boat-people qui s’est constituée « dans un camp en Thaïlande », quand « le père y a épousé une veuve avec quatre enfants ». Le père explique que l’aggravation de la situation au Cambodge l’a conduit à l’exil. A l’arrivée en France, la famille a probablement été accueillie par l’association France Terre d’Asile, qui coordonne la répartition des réfugiés au sein de l’un des 120 Centres provisoires d’hébergements (CPH) situés sur tout le territoire national2. A Rennes, les réfugiés Khmer sont hébergés au foyer Guy Houist, à partir du 13 août 1975. La première difficulté rencontrée par le père, lors de leur arrivée en France, est « le problème linguistique. Il [a fallu] d’abord bien parler français ». La deuxième difficulté a été le climat, puisqu’il est arrivé « en plein hiver […] sans amener de vêtements chauds ». Enfin, « au bout du sixième mois, il a fallu trouver du travail ».

Au moment du tournage, la situation de la famille semble s’être améliorée. Comme un certain nombre de réfugiés passé par le CPH rennais, ils ont probablement été relogés au sein d’un HLM de la ville. Le père, étudiant en médecine dans son pays d’origine, a trouvé un emploi de « plâtrier » sur des chantiers rennais. Un métier qu’il considère « très très dur par rapport à [sa] formation, mais quand [il] compare avec la vie dans [son] pays, [il] peut résister ». La famille s’est même agrandie avec la naissance d’un cinquième enfant, né à Rennes.

Pour autant, des difficultés persistent : la mère a des difficultés à parler le français et le mal du pays se fait souvent sentir. C’est pourquoi le père retrouve régulièrement d’autres réfugiés comme lui pour discuter « de [leur] pays en voie d’extermination ». Pour bien s’intégrer dans la société française, ils peuvent compter sur des associations d’accueil – il y en a une jusqu’à une centaine dans le département d’Ille-et-Vilaine – mais aussi sur des initiatives personnelles, comme cette voisine qui rend visite régulièrement à la famille et que les enfants appellent « Mémé ». C’est également le cas du patron du père qui « a accepté de le former sur le tas », après que leurs filles respectives se soient liées d’amitié. Une amitié qui s’est agrandie à tous les membres des deux familles, puisque la famille rennaise a « emmené en vacances » la famille de réfugiés.

1979 : des boat people arrivent en Grande-Bretagne. Flicker.

De ce court reportage, qui fait l’éloge de l’intégration rapide d’une famille cambodgienne au sein de la société française, on retient quelques enseignements : il est indispensable aux réfugiés d’obtenir un logement, d’apprendre rapidement la langue française et de trouver un emploi. Et peut-être plus important encore, de bénéficier d’un accueil bienveillant et amical de la part de leurs nouveaux voisins.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

 

1 INA. « Les Khmers de Rennes », Journal de 20 heures, Antenne 2, 17 septembre 1979, en ligne.

2 ETIEMBLE Angélina, MORILLON Anne, « Histoire de l’immigration en Bretagne », in EPRON, Aurélie et LE COADIC, Ronan, Bretagne Migrations et Identité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, pp. 275-276.