Elément pour une histoire de l’institution judiciaire

S’il est bien un domaine de l’historiographie qui est soumis aux contraintes du présentisme, c’est l’histoire de l’institution judiciaire. Il est à cet égard assez révélateur de constater que l’Histoire du parquet dirigée par J.-M. Carbasse en 2000 s’arrête en réalité au XIXe siècle1. Des raisons aussi multiples et diverses que le régime de consultation des archives expliquent bien entendu cela, ce sans même évoquer les rapports parfois délicats entre justice et histoire induits récemment par les grands procès Papon, Barbie et Touvier.


Aussi est-ce pourquoi on regardera avec attention le documentaire Renaud Van Ruymbeke au nom de la loi coproduit par la société rennaise Vivement Lundi !, à qui l’on doit plusieurs films passionnants sur l’implication méconnue de la France dans la guerre des Malouines, l’épidémie de variole qui frappe Vannes dans les années 1950 ou encore le Front de libération de la Bretagne. L’histoire même de ce documentaire explique en effet bien les contraintes inhérentes à une histoire du temps présent de l’institution judiciaire puisque le juge Van Ruymbeke a été à plusieurs reprises obligé de reporter le tournage de ce long entretien du fait des circonvolutions de la tentaculaire affaire Clearstream.

Alors bien entendu on pourra toujours objecter que Renaud Van Ruymbeke n’est peut-être pas le plus représentatif des juges d’instruction et qu’il est peut-être même un cas à part. On pourra en effet faire remarquer que rares sont les magistrats connus du grand public, qu'exceptionnels sont ceux à traiter des affaires politico-judiciaires qui ont tant fait pour sa renommée et que, last but not least, peuvent se compter sur le doigt d’une main les juges à être traduit deux fois devant le Conseil supérieur de la magistrature. Et c’est d’ailleurs sans dout toute cela qui fait l’intérêt de ce documentaire en plan serré, grand entretien avec cet homme qui marqua durablement de son empreinte la Cour d’appel de Rennes, sise au sein du Parlement de Bretagne, et dont le nom est attaché à de nombreuses affaires, de Robert Boulin à Jérôme Cahuzac en passant par Urba, le Parti républicain ou encore les frégates de Taïwan, sans oublier le meurtre de la petite Caroline Dickinson à Pleine-Fougères.

Pour l’historien de l’institution judiciaire, ce documentaire constituera donc un témoignage de  premier ordre qu’il conviendra, toutefois, d’utiliser avec une grande rigueur. Le questionnement même du réalisateur, Philippe Pichon, insiste en effet beaucoup sur la dimension médiatique du juge d’instruction ce qui tend à souligner la grande solitude inhérente à ce métier. Or, seul celui qui pourra avoir accès aux archives, du juge mais aussi des accusés voire même des médias incriminés, pourra in fine revenir sur cette représentation actuellement très prégnante dans notre société et, le cas échéant, la corriger. Car il est un fait qu’à l’heure actuelle, le seul prisme par lequel le citoyen ordinaire appréhende l’action du juge d’instruction est celui des médias, filtre par définition déformant.

Pour autant, il n’en demeure pas moins que ce Renaud Van Ruymbeke au nom de la loi est, pour le grand public, un documentaire d’un grand intérêt qui, outre une réflexion stimulante sur l’idée même de justice, offre une plongée dans une histoire des plus sensationnelles affaires judiciaires de ces trente dernières années. Une belle réussite à ne qui sera diffusée le 5 avril 2014 à 15h20 sur France 3 Bretagne, Pays de la Loire, Centre Haute et Basse-Normandie puis le 10 avril à 8h50.

Erwan LE GALL

 

1 CARBASSE, Jean-Marie, Histoire du Parquet, Paris, Presses universitaires de France, 2000.