Et la Loire devint Atlantique
Les professionnels du marketing territorial ne cessent de le répéter : la première marque d’une région, c’est son nom. Et celui-ci doit faire « rêver », ou tout du moins ne pas rebuter. C’est d’ailleurs bien pour des considérations de cet ordre, touristiques et plus généralement économiques, que les Côtes-du-Nord deviennent d’Armor en 1990. De la même manière, on pourrait mentionner l’adoption en 2012 du gentilé « bretilien » pour qualifier les habitants du département d’Ille-et-Vilaine, appellation qui cependant semble éprouver quelques difficultés à s’imposer dans les conversations. Tel n’est cependant pas le cas de la Loire-Atlantique, née au Journal officiel le 14 mars 1957 et prenant la suite de la Loire-Inférieure.
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Carte promotionnelle. Collection particulière. |
Circonscriptions nées de la Révolution française, les départements sont nommés en 1790, c’est-à-dire à une époque où ces préoccupations de communication touristique et économique sont totalement absentes des esprits. Pourtant, dès 1941, la Charente-Inférieure devient Maritime et en 1955 c’est la Seine qui prend le même chemin. A chaque fois, « il ne s’agit pas d’une modification orthographique ou d’une volonté de différenciation (en cas d’homonymie), mais de la suppression de termes jugés péjoratifs (Inférieur, Bas, Nord) »1. Et c’est bien cette logique qui émerge avec force au milieu des années 1950 dans l’estuaire de la Loire, même si les première velléités en la matière paraissent dater des années 19202.
Publiant en 2007 un numéro spécial pour les 50 ans de l’appellation Loire-Atlantique, Ouest-France évoque plusieurs témoignages particulièrement intéressants. Le président de la coopérative d’Ancenis en est ainsi certain :
« Malheureusement, nous sommes gênés pour notre commercialisation par le nom actuel de notre département. La mention « Loire-Inférieure » nous cause incontestablement préjudice, surtout à l’étranger. »
Il est également question de fromagers et de vignerons qui préfèrent taire le nom de leur département de production et inventer des appellations au mieux hasardeuses, comme ce camembert de la « vallée de la Loire » mais issu d’une ferme de… Saint-Gildas-des-Bois. La situation est devenue ubuesque et, en novembre 1955, le Conseil de général de Loire-Inférieure est tout aussi catégorique : « le qualificatif Inférieure ne peut que nuire à l’économie de la région »3. Mais le Conseil d’Etat ne l’entend pas de cette oreille et craint ouvertement que les départements prennent des appellations « publicitaires »4, but qui effectivement n’est pas totalement absent de la stratégie développée par la collectivité territoriale.
Pourtant, c’est bien le Conseil général qui, dans ce combat, a le dernier mot. Une grande partie du mérite en revient d’ailleurs à Jean Guitton, député SFIO de Saint-Nazaire jusqu’en 1958 et à l’époque seul élu de gauche au sein de l’assemblée départementale5. Il faut dire que ce militant CGT et ancien Résistant au sein du mouvement Libération-Nord parvient à réaliser « l’Union sacrée » autour de lui et de cette volonté de redénomination, portée également par la Chambre de commerce et d’industrie de Saint-Nazaire.
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Carte postale. Collection particulière. |
Le port ligérien est en effet en pointe dans ce combat. L’exemple des célèbres chantiers navals, dénommés chantiers de l’Atlantique depuis 1955, est régulièrement mis en avant et sans doute a-t-il eu un rôle essentiel dans ce qui s’apparente à une véritable victoire politique. Celle-ci est d’ailleurs d’autant plus remarquable que le nom de Loire-Atlantique n’était pas le seul en lice. Plusieurs communes dont Le Pouliguen plaidaient en effet pour la Loire-Océan. Une appellation pas totalement originale puisqu’elle fait référence à l’intitulé d’un projet de canal reliant le fleuve Royal à la Suisse, projet né au XIXe siècle mais qui suscita pendant la Première Guerre mondiale, à la faveur de la présence du corps expéditionnaire américain, les plus grands espoirs dans les milieux d’affaires nazairiens. Une manière de rappeler que la modernité n’est parfois que la réinvention d’idées finalement assez anciennes…
Erwan LE GALL
1 GREGORY, Marie-Anne, « Changer de nom pour changer d’image. Le cas des modifications de dénomination de département », Mots. Les langages du politique, n°97, 2011, p. 15-29, en ligne.
2 Ibid.
3 Cité in Ibid.
4 Cité in Ibid.
5 Nous remercions François Prigent, parfait connaisseur de l’histoire des gauches bretonnes, pour ces éléments biographiques. |