Les élections législatives de 1958 : une vague de clarté ?

Le secret du suffrage est certainement l’une des choses les mieux gardées. Bien entendu, l’isoloir, dispositif introduit en 1913 et pour partie testé en Bretagne y est pour beaucoup mais, au-delà de cette « innovation technique », il n’est jamais simple de déterminer ce qui, in fine est à l’origine du vote. La situation est encore plus complexe lorsque le suffrage accouche d’une véritable vague, comme c’est le cas lors des élections législatives de 1958, scrutin d’une grande complexité. En effet, comment ont voté les Bretons ? Se sont-ils exprimés pour confirmer le message donné lors du référendum sur la Ve République ou par rapport à la situation en Algérie ? Et quid du « dégagisme », concept popularisé par la séquence électorale primaires-présidentielles-législatives de 2017 mais qui n’est pas sans intérêt lorsque vient le moment de se pencher sur 1958 ?

Une femme vote lors des élections législatives de 1958. Collection particulière.

A l’échelle de la Bretagne, les résultats sont difficiles à analyser. Si des manifestations en faveur du « non » au référendum portant sur la nouvelle constitution ont lieu à Rennes et Brest à l’instigation de différents syndicats ainsi que du parti communiste et de la SFIO, le verdict des urnes est mitigé. Créée quelques semaines seulement avant les élections législatives, la gaulliste Union pour la nouvelle République (UNR) ne parvient pas à balayer la vieille-sociale démocratie chrétienne si bien implantée en Bretagne. Mais à quoi peut être imputée cette situation ? A un déficit de structures militantes puisque certaines circonscriptions demeurent vierges de candidats émanant de l’écurie gaullienne ? Ou alors faut-il y voir une adhésion timorée à la figure de l’homme du 18 juin ? Après tout, la métaphore avait été savamment – quoi que peu subtilement – tissée puisque, le 28 avril 1958, ce sont deux marins de l’île de Sein qui apportent à l’Elysée une pétition signée par l’ensemble des habitants de ce petit caillou finistérien pour réclamer le retour au pouvoir du général de Gaulle1.

Bien entendu, une réponse à une question telle que celle-ci ne peut tenir en quelques lignes et il est évident que de nombreux facteurs jouent, suivant que l’électeur soit une femme ou un homme mais aussi en fonction de critères tels que le niveau de revenus, d’éducation ou encore la domiciliation, les villes ne votant pas la même chose que les campagnes. La cadre même du scrutin est également un biais à considérer puisqu’on sait les circonscriptions savamment (re)dessinées suivant une technique dite de la salamandre afin de peser sur les résultats2. En d’autres termes, on ne saurait dégager la substantifique signification de l’élection en ne se basant que sur l’identité des vainqueurs. Ce d’autant plus que certains cas sont particulièrement complexes. Votant le 1er juin 1958 la confiance au général de Gaulle, l’ancien français libre René Pleven est réélu député… mais sans l’étiquette de l’UDR qui, il est vrai, avait choisi de l’épargner en ne présentant pas face à lui de candidat3.

Le vote est affaire d’opinions et il est nécessaire, pour essayer de mieux cerner le problème, de recourir à d’autres types d’archives, et notamment aux affiches et professions de foi mises en ligne par le CEVIPOF. La deuxième circonscription de Rennes-sud en est un bon exemple même si, là encore, des limites se révèlent rapidement. Ainsi, pour le candidat communiste Emile Guerlavas, il importe avant tout de « stopper la poussée réactionnaire », ce qui implicitement évoque une opposition systématique au général de Gaulle. Le député sortant, le socialiste Alexis Le Strat tient une position sensiblement équivalente en se présentant comme le candidat « de la justice sociale et de la paix ». Mais, est-ce à dire pour autant que la victoire d’Henri Jouault marque une adhésion pleine et complète à la Ve République et témoigne d’une véritable volonté de changement ? Certes ce pharmacien né à Rennes manifeste sans ambiguïté son soutien au général de Gaulle, mais sans pour autant adhérer à l’UNR. Plus délicat encore, bien que se présentant comme un homme neuf, il est depuis 1953 conseiller municipal aux côtés d’Henri Fréville, ce leader du MRP, parti symbole de la IVe République que, justement, les gaullistes entendent renverser.

Profession de foi d'Henri Jouault (détail). Archives du CEVIPOF.

On le voit, déceler les mécanismes profonds, quasiment intimes, du vote est chose particulièrement délicate. Non seulement le terrain est bien souvent d’une rare complexité mais les archives ne permettent pas rarement de savoir ce qu’il y a vraiment dans la tête des électeurs. Aussi le terme de « vague », y compris lorsqu’il s’agit de celle de 1958, de 1981 ou encore de celle de 2017, doit-il être considéré avec mesure. Si les élections législatives de 1958 sont généralement comprises comme le moment d’un basculement de la Bretagne dans le gaullisme, on voit que la situation est plus complexe qu’il n’y parait de prime abord. D’ailleurs, cette adhésion est censée prendre fin en 1969, à l’occasion d’un plébiscite tournant autour de la figure de l’homme du 18 juin. Or la Bretagne, qui connaît elle aussi les soubresauts de mai 1968 vote oui lors de cette consultation. Est-ce à dire que le désaveu y est moins fort qu’ailleurs ?

Erwan LE GALL

 

1 SAINCLIVIER, Jacqueline, « L’Ouest : du MRP au Gaullisme en passant par les indépendants (1956-1967), in RICHARD, Gilles et SAINCLIVIER, Jacqueline, Les partis et la République. La recomposition du système partisan 1956-1967, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 144.

2 Ibid., p. 144-145.

3 Ibid., p. 145 et BOUGEARD, Christian, René Pleven. Un français libre en politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1994, en ligne.