L’arme nucléaire chinoise vue de Bretagne

Le 27 octobre 1966, la République populaire de Chine annonce qu’elle vient d’expérimenter, avec succès, sa première fusée à tête nucléaire. En pleine guerre froide, l’information est largement commentée par la presse internationale. Vue de Bretagne, la nouvelle ne passe donc pas inaperçue. L’article publié dès le lendemain dans les colonnes du quotidien rennais Ouest-France est, à cet égard, riche d’enseignements1.

Carte postale à la gloire de Mao. Collection particulière.

Lors des deux premières décennies qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, seuls quatre pays parviennent à se doter de l’arme nucléaire, à savoir les Etats-Unis, l’Union soviétique, le Royaume-Uni et la France. La Chine vient bouleverser cet équilibre en 1964 lorsqu’elle annonce être parvenue à réaliser son premier essai nucléaire. Mais ce n’est véritablement qu’en 1966 qu’elle montre au monde entier qu’elle est « capable de fabriquer un engin d’un volume suffisamment restreint pour qu’il puisse être lancé sur une cible au moyen d’une fusée ». Pour le quotidien rennais Ouest-France, cela signifie que la Chine dispose « désormais de l’arme nucléaire véritable ».

L’annonce de Pékin provoque « une vive surprise » dans le bloc occidental. Si les experts s’attendaient à une nouvelle expérimentation, ils ne pensaient pas que la Chine « disposerait à une date aussi rapprochée, d’un lanceur assez sûr pour être équipé d’une ogive nucléaire ». En effet, à la différence des autres puissances nucléaires, la Chine n’est pas passée par « la phase du vecteur avion pour le lancement de sa bombe », ce qui renforce l’étonnement de la communauté internationale.

Surtout, la réussite chinoise suscite de nombreuses inquiétudes au regard du climat extrêmement tendu en Asie. Depuis près de vingt ans, les Etats-Unis participent activement à la lutte contre les communistes, à l’image des opérations militaires en cours au Vietnam. C’est d’ailleurs dans cette perspective que Washington réunit, les 24 et 25 octobre 1966, une coalition de pays asiatiques et non communistes à Manille2. L’annonce de Pékin, qui intervient seulement deux jours après la clôture de la conférence, apparait alors comme une réponse formulée par le charismatique Mao Zedong à l’encontre de la diplomatie américaine.

A Pékin dans les années 1960, un réacteur nucléaire. Agence Keystone.

Pour Ouest-France, l’essai nucléaire est à ce titre « un évènement de portée incalculable ». Et comme personne ne connaît la « puissance de l’engin expérimenté » ni la distance qu’il serait capable de parcourir, les fantasmes les plus fous sont autorisés, comme celui d’une possible guerre nucléaire. Pourtant, vue de Bretagne, cette menace apparaît, pour une fois, improbable en raison des relations diplomatiques privilégiées qui se sont tissées, depuis deux ans, entre la France et la Chine.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 « Première fusée chinoise à tête nucléaire », Ouest-France, 28 octobre 1966, p. 2.

2 Il s’agit de la Corée du Sud, des Philippines, de la Thaïlande, du Vietnam du Sud. Sont également associées l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Sur ce point, voir Joyaux, François, « La conférence de Manille, 24-25 octobre 1966 », Politique étrangère, n°5-6, 1966, 31ᵉ année, p. 534-541.