Les CRS-MNS, soixante ans de surveillance sur les plages

La disparition des CRS-MNS (pour compagnie républicaine de sécurité-maîtres-nageurs sauveteurs) est à nouveau annoncée pour la fin du mois d’août 2018. Véritables institutions de nombreuses plages françaises, ils constituent accessoirement un réel motif d’économies pour les communes qui les accueillent. Ce service intervient pourtant relativement tardivement dans l’histoire balnéaire française : en 1958, en Bretagne.

Carte postale humouristique. Collection particulière.

La sécurisation du bain de mer est ancienne, puisqu’elle intervient déjà au milieu du XIXe siècle. Ces « guides-baigneurs » (à l’instar des guides de montagne) sont là pour aider le touriste à prendre son bain. Ils sont donc logiquement employés par les établissements de bain. Les organismes de sauvetage se mettent en place dans la seconde moitié du XIXe siècle : la Société centrale de secours aux naufragés en 1865, les Hospitaliers sauveteurs bretons en 1873. Ils participent au sauvetage maritime et, de plus en plus, à la surveillance des plages. Leur service est pris en charge par des syndicats de propriétaires ou par les communes1.

La création des CRS est plus tardive : elles sont créées le 8 décembre 1944, en remplacement des Groupes Mobiles de Réserve et des Commandements régionaux, tous dissous. Ces compagnies aident à la surveillance des frontières, traquent les prisonniers de guerre évadés, puis, plus généralement, participent au rétablissement de l’ordre public2.

Au milieu du XXe siècle, il est désormais indispensable que les stations balnéaires prennent des dispositions pour la sécurité des vacanciers ; ne serait-ce que pour éviter la mauvaise publicité qu’entraîne une noyade. La circulaire interministérielle du 22 juillet 1948 rappelle aux préfets que la surveillance et la réglementation des bains et baignades se font sous l’autorité du maire : ils sont tenus responsables de la sécurité des baigneurs. Cette circulaire est bien connue puisqu’elle impose l’uniformisation de la signalisation par drapeaux sur la possibilité ou non de se baigner. La loi du 24 mai 1951 insiste à nouveau sur la surveillance des bains de mer et de rivière. C’est pour cette raison qu’à partir du début des années 1950, les agents CRS aident également à la surveillance des piscines et des plans d’eau.

Poste de secours tenu par des CRS. Collection particulière.

La multiplication des noyades le long des plages durant les années 1950 – notamment à cause de l’affluence née de la multiplication des colonies de vacances après la guerre – inquiète l’État. Une première expérience de surveillance des baignades par les CRS est donc tentée en 1958 sur les côtes bretonnes, en collaboration avec les Hospitaliers sauveteurs bretons : 38 maîtres-nageurs sauveteurs sont disposés en place sur 20 plages. L’initiative rencontre le succès. Le nombre de CRS-MNS est ainsi porté à 150 dès 1959. Leurs missions évoluent aussi. Entre 1960 et 1964, se multiplient les « clubs vacances » et autres expériences de « centres de loisirs organisés », où les policiers abandonnent leur rôle de gardien de la Paix en uniforme pour investir pleinement celui d’animateur3. En 1965, le journaliste Jean-Marie Dupont évoque ces changements dans Le Monde :

« Certains policiers ont estimé qu’il fallait s’attaquer à la racine du mal : le désœuvrement de ces adolescents en liberté et sans argent. Dès 1962, un centre nautique pour les jeunes était lancé à Dinard par le commissaire de police, avec le concours de la direction de la population et de la municipalité. L’été suivant, le centre se transformait en école de voile, et un club de loisirs animé par des moniteurs de la sûreté nationale (gardiens des CRS et des polices urbaines) rassemblait environ cent cinquante adolescents. Un autre était créé la même année à Royan. En 1964, plusieurs commissaires de police du Tréport à Hyères prenaient des initiatives similaires tandis que les CRS tentaient à leur tour une expérience de centre de vacances pour les jeunes à Hossegor. Le succès de ces différentes tentatives s’est traduit cet été par la mise en place de vingt-huit centres de loisirs, quatorze contrôlés par les CRS, quatorze par les polices urbaines qui ont touché au total plus de cinq mille adolescents. Et il semble que ce ne soit qu’un début. Que penser de cette transformation de policiers en promoteurs et animateurs de clubs de jeunes ? S’agit-il d’encadrer la jeunesse, de prévenir la délinquance juvénile ou d’assumer un rôle de suppléance dans l’organisation des loisirs ? N’y a-t-il pas risque de confusion dangereuse à confier à des fonctionnaires chargés d’assurer l’ordre public des tâches de moniteurs de jeunesse ? »4

Que sont devenues ces initiatives ? Faute d’un dépouillement d’archives suffisant, Mathias Gardet précise qu’il ne sait rien du devenir de ces actions dans la seconde moitié des années 1960. Toujours est-il que les CRS-MNS reviennent à leur unique mission de surveillance des plages.

À chaque début d’année, le maire doit faire connaître en préfecture les besoins de sa commune pour l’été. Restent à la charge de la commune uniquement la nourriture et le logement des maîtres-nageurs sauveteurs. La venue régulière de ces agents rassure les usagers et les élus. Dans les années 1960, ils sont d’ailleurs généralement mieux équipés que les maîtres-nageurs sauveteurs privés et, surtout, ils ne sont pas dissipés par une éventuelle leçon de natation à donner en complément de leur activité5.

L’absence des CRS-MNS se fait ainsi ressentir en 1968. En effet, ces agents, détenteurs d’un diplôme d’État, sont avant tout des CRS, employés au rétablissement de l’ordre et donc très actifs durant les événements de Mai. Ils arrivent sur les plages au milieu du mois de juillet, temporairement remplacés par des volontaires en avant-saison, quand les mairies en trouvent6 . L’habitude est alors vite prise de renouveler chaque année le service, qui concerne une centaine de stations balnéaires au début des années 2000.

Carte postale syndicale. Collection particulière.

À partir de 2008, le nombre d’agents dévolus à ces actions est drastiquement réduit. Les gouvernements successifs considèrent que la surveillance des plages et des plans d’eau ne constitue pas une mission régalienne ni une obligation légale de l’État. Des questions juridiques et budgétaires sont également soulevées par le Conseil d’État7. En 2017, 297 CRS-MNS sont déployés sur 63 communes (avant 2016, 460 agents occupaient 97 stations).

Johan VINCENT

 

 

 

 

 

 

1 VINCENT, Johan, L’intrusion balnéaire : les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme, 1800-1945, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 189-192.

2 Sur un historique des CRS, voir : Maupoix, Jan-Marc, http://polices.mobiles.free.fr/les_crs.html, 2000 [consulté le 19 août 2018] ; https://media.interieur.gouv.fr/police-nationale/crs70ans/ [consulté le 19 août 2018].

3 GARDET, Mathias, « La police des mineurs à l’heure de la prévention (1935-1966) : une mission oubliée ? », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière  » n°12, mis en ligne le 30 novembre 2010, [consulté le 19 août 2018].

4 DUPONT, Jean-Marie, « Les CRS chez les copains », Le Monde, 2 septembre 1965, cité par GARDET, Mathias, art. cit.

5 Comme c’est le cas dans le Var, selon le Rapport sur la sécurité des plans d’eau et des eaux de baignade, vers 1966 (Arch. dép. du Var, 638 W 1705).

6 VINCENT, Johan, Tourisme et Mai 68. Le cas français, Saint-Jean-de-Monts, 2018, p. 102.

7 Sur ce point, la réponse du Ministère de l’Intérieur publiée dans le Journal Officiel Sénat du 19 juillet 2018, p. 3629.