Louis de Funès, châtelain breton et écologiste précurseur

Louis de Funès est assurément l’un des acteurs les plus populaires parmi les cinéphiles français. Il n’y a qu’à, pour s’en convaincre, se référer à l’audience réalisée par chaque nouvelle diffusion à la télévision de l’un de ses films. Mais si tout le monde se rappelle de ses aventures dans les environs de Saint-Tropez, à traquer les nudistes au sein d’une célèbre brigade de gendarmerie, rares sont celles et ceux qui connaissent les liens qu’entretient le célèbre acteur avec la Bretagne. C’est en effet sur les bords de la Loire, entre Carquefou et Ancenis, que cette véritable pile électrique comique aime à se ressourcer… pour mieux recharger ses batteries.

Image tirée du film Le gendarme se marie publiée en carte postale. Collection particulière.

En Bretagne, Louis de Funès mène en effet une vie des plus tranquilles, à l’écart des projecteurs et du vedettariat parisien, bref bien loin de la Folie des grandeurs. C’est d’ailleurs avec le colossal cachet encaissé grâce au succès de La Grande vadrouille que l’acteur mène à bien la restauration du château de Clermont, une demeure dont hérite sa femme, Jeanne, en tant que nièce de Charles Nau de Maupassant. A cela, viennent s’ajouter 50 hectares de dépendances achetés pour quelques 830 000 francs, sans les frais, en janvier 1967… Le tout se situe au Cellier, village comptant alors moins  de 2 000 habitants et jouxtant les rives du fleuve que l’on dit royal.

Le château de Clermont n’est pas une bâtisse anodine. Les 30 pièces, et 365 fenêtres, qui la composent, en témoignent. La construction débute en 1643, sous la régence donc d’Anne d’Autriche, mère de Louis XIV. Il s’agit d’une œuvre typique de l’architecture du XVIIe siècle : la brique rouge contraste avec le toit en ardoises bleues et l’emploi de pierre blanche, combinaison que l’on retrouve également sur la célébrissime place des Vosges, en plein cœur de Paris. En 1861, le comte Léon Nau de Maupassant achète le château, qui devient à son décès propriété de son fils, Charles. Volontiers opportuniste, celui-ci profite de l’occasion que constitue le débarquement du corps expéditionnaire américain à Saint-Nazaire, au cours de la Première Guerre mondiale, pour tenter de convertir la vaste demeure en hôpital militaire, ce en la confiant aux troupes du général Pershing. Sollicitant les plus hautes autorités pour son projet, il se conforme à la morale patriotique du moment tout en préservant jalousement ses intérêts. Sa générosité n’est en effet pas sans arrière-pensées et l’aristocrate souhaite en réalité préparer, à moindres frais, le terrain pour une transformation de sa propriété en « station climatique » comprenant casino et champs de courses1. Mais le projet échoue et, le 17 septembre 1941, le comte Charles Nau de Maupassant décède à l’âge de 75 ans en son château, c’est-à-dire à l’époque même où celui-ci est classé à l’inventaire des monuments historiques.

Décédé sans descendance, l’aristocrate – qui n’a aucun lien de parenté avec l’écrivain Guy de Maupassant – lègue, en indivision, sa splendide demeure à sa nièce, Jeanne Barthélémy, seconde épouse de l'acteur Louis de Funès. Le couple a deux enfants et la famille a l’habitude de venir passer ses vacances sur les bords de la Loire. Avec la rénovation du château, les séjours se font de plus en réguliers jusqu’à ce que l’installation soit définitive, à partir du milieu des années 1970. Véritable monstre sacré du cinéma, l’acteur préféré des Français, pourtant né le 31 juillet 1914 à Courbevoie, est en réalité un provincial qui aime le calme de la campagne. Lors de l’été 1976, il confesse au quotidien Ouest-France venu l’interroger : « Au calme, je déconnecte de tout, pour moi qui suis anxieux et me fais un sang d’encre pour tout, c’est important ».

Le château de Clermont, prpriété de Louis de Funès. Carte postale. Collection particulière.

Touché par un premier incident cardiaque – Louis de Funès succombe à Nantes le 27 janvier 1983 à un infarctus – le génie comique trouve sur les bords de la Loire un havre de paix où il peut se reposer et se consacrer à sa passion du jardinage. Précurseur en termes de culture biologique, il bannit tout produit chimique et s’occupe lui-même de son potager ainsi que de ses quelques 600 rosiers. Féru de pêche, il aime à déguster les brochets qu’il prélève, accompagnés bien évidemment – pays nantais oblige – d’une sauce au beurre blanc. Mais en ces années 1970 de la modernité mécanique triomphante, même les plaisirs de la gastronomie semblent menacés. C’est ainsi que dans les colonnes de Ouest-France, en août 1976, il s’écrit, non sans une certaine nostalgie : « La Loire était fantastique, et ils la creusent comme des abrutis pour faire des autoroutes ».

Erwan LE GALL

 

 

 

1 Pour de plus amples développements on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Saint-Nazaire, les Américains et la guerre totale (1917-1919), Bruz, Editions CODEX, 2018, p. 178.