Quand Quimperlé fait la une de l’actualité : l’affaire Brunou

Enjambant la Laïta, Quimperlé est un aimable chef-lieu de canton du Finistère, commune comptant à peine 10 000 habitants au début des années 1970. Bien que scindée en deux, d’une part la basse, d’autre part la haute-ville, la petite cité cornouaillaise n’a, à dire vrai, rien pour faire parler d’elle. Pourtant, le 20 juillet 1970, Michèle Postollic, une enseignante du lycée professionnel Jeanne d’Arc, annexe du lycée Notre-Dame de Kerbertrand, s’apprête, malgré-elle, à défrayer la chronique. Son crime ? Epouser Bernard Brunou, un commerçant de Quimperlé qui a la particularité d’être bien connu en ville, mais aussi d’être divorcé.

Le lycée Notre-Dame de Kerbertrand de Quimperlé. Carte postale. Collection particulière.

En l’espace de quelques jours, ce qui devait en théorie relever de la stricte vie privée d’une enseignante prend des proportions considérables. Le divorce contrevient en effet à la doctrine catholique et donc au « caractère propre » du lycée professionnel Jeanne d’Arc. La réaction de la direction diocésaine ne se fait en conséquence pas attendre et, le 26 août, Michèle Postollic se voit signifier son renvoi pour s’être « mise ouvertement en contradiction avec les normes de la morale catholique »1. L’intéressée conteste bien évidemment cette décision et obtient, à la suite d’une réunion de conciliation tenue le 2 septembre 1970, sa mutation dans un autre établissement. Mais celle-ci ne vient pas, ce qui contraint Michèle Postollic à ester en justice et à saisir le Tribunal administratif. En vertu du contrat qui lie le lycée Jeanne d’Arc de Quimperlé à l’Etat, celui-ci rétablit l’enseignante, le 9 décembre 1970, dans ses droits et, le 4 janvier 1971, l’infortunée professeure se présente devant sa classe, accompagnée d’un huissier de justice, pour reprendre ses cours.

C’est à ce moment que la pression médiatique est, semble-t-il, la plus forte. En témoigne notamment un intéressant radiotrottoir réalisé par l’ORTF pour Bretagne actualités, reportage qui montre combien les opinions sont contrastées dans cette région toujours prête à s’enflammer pour la question scolaire, et ce depuis les premières lois laïques votées au XIXe siècle. La première personne interrogée est Louis Le Naour. Pharmacien à Quimperlé, il est aussi vice-président au niveau national de l’Association des parents d’élèves (APPEL) et a mené le combat contre Michèle Postollic. Sans surprise, et même s’il prétend agir au nom « de l’enseignante » et « des enfants », il soutient le renvoi de l’enseignante. Celle-ci n’est en effet à ses yeux plus à même « d’enseigner à leurs filles de 15 ans des éléments de vie sociale et familiale » du fait de « son mode de vie ». Louis Le Naour a le soutien du représentant des enseignants du lycée Jeanne d’Arc qui, pour sa part, rappelle « que dans l’enseignement catholique, [l’enseignant] qu’il le veuille ou non, de par la responsabilité qu’il a, que les parents lui ont confiée, sa vie privée se trouve obligatoirement mêlée au témoignage qu’il porte ».

Pour autant, preuve du caractère extrêmement clivant de ces questions sociétales, nombreuses sont les personnes qui non seulement soutiennent Michèle Brunou mais fustigent son renvoi. Chapeau vissé sur la tête, un homme rappelle au contraire que « la vie personnelle, la vie familiale n’a rien à voir avec l’enseignement ». Même parmi les croyants, les opinions sont mitigées. Une femme explique ainsi ne pas croire que l’on soit fait « pour se juger aussi sévèrement les uns et les autres ». A dire vrai, plus que d’une querelle de clocher, c’est bien d’un véritable fait de société dont il s’agit et Gilles Servat, le fameux protest singer célèbre pour sa Blanche Hermine, prend sa plume et sa guitare pour fustiger « les culs bénis ».

Quimpelé, l'église Notre-Dame. Carte postale. Collection particulière.

Mais la radicalité du propos ne doit pas aveugler. En réalité, toutes les parties en présence ont intérêt à calmer le jeu. Une femme explique ainsi être catholique mais également divorcée depuis 40 ans et souffrir de ne pas avoir reçu « les secours de la religion ». Et de conclure : « j’estime que nous sommes en 1971 et que tout cela doit être dépassé ». Et d’ajouter, goguenarde : « on n’est  pas au Vatican ici ». Les faits sont en réalité têtus et l’avancée sociétale du divorce ne peut plus être niée par personne, y compris par Louis Le Naour. L’Eglise a en effet tout intérêt à mettre de l’eau dans son vin, sous peine de découvrir de nombreux cas d’enseignants divorcés exerçant dans des établissements catholiques. D’ailleurs, dès le 14 janvier 1971, Témoignage Chrétien publie un témoignage d’une autre professeure mariée à un divorcé mais ayant, elle, conservé son poste. Comment s’étonner dès lors que Michèle Postollic réintègre, dès la rentrée suivante, sa classe ? C’est d’ailleurs dans ce même établissement qu’elle effectuera toute sa carrière…

Erwan LE GALL

 

 

 

1 Pour de plus amples développements se reporter à TRANVOUEZ, Yvon, « L’affaire Brunou. Quimperlé, Jeanne d’Arc, 1970-1971 », in CELTON, Yann, GICQUEL, Samuel, LE MOIGNE, Frédéric et TRANVOUEZ, Yvon (dir.), Dictionnaire des lycées catholiques de Bretagne. Histoire, culture, patrimoine, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 110.