Valery Giscard d’Estaing, une autre vision de la culture bretonne

« L'unité française n'a aucune raison d'être l'uniformité française. »1 Prononcé dans la bouche de Valéry Giscard d’Estaing, voilà un propos qui tranche avec la conception traditionnelle d’une République française « une et indivisible ».

Valéry Giscard d'Estaing, l'image d'une certaine modernité en politique. Carte postale. Collection particulière.

Le discours prononcé à Ploërmel, le 8 février 1977, par le président de la République apparaît ainsi en rupture avec la vision de la Bretagne exprimée par son illustre prédécesseur, Charles de Gaulle, lors de son discours quimpérois de 1969. Bien que le Général rappelle les origines celtiques du peuplement de la Bretagne ; il s’attache à placer dans le sillage de la France les destins des illustres personnages breton.ne.s (Dugesclin, la duchesse Anne, Jacques Cartier…), tout en commémorant le sacrifice des soldats bretons de la Grande Guerre et des résistants de la Seconde Guerre mondiale. Malgré quelques mots prononcés en langue bretonne, comme un clin d’œil à un oncle homonyme grand celtomane du XIXe siècle, Charles de Gaulle ne dévie pas d’une conception jacobine de l’Etat français. A peine une décennie plus tard, Valéry Giscard d’Estaing, venu d’une droite plus orléaniste et moins bonapartiste selon la conception des droites de René Rémond , expose une vision plus girondine d’un pays compris comme une addition de ses provinces. C’est ainsi qu’il affirme que la France est une nation pluriculturelle :

« Gaulois, romains, francs, celtes, vikings, se sont établis tour à tour sur notre sol. Notre culture commune est la fusion de leurs cultures. »

Sans nier cette culture commune – LA culture française –, il souhaite réhabiliter les autres cultures de France :

« Acceptons que le même arbre conserve plusieurs racines. Les traditions et les cultures de la Bretagne ne sont pas simplement du folklore. »

Ainsi, tout en réaffirmant la place des Bretons dans la communauté nationale, il invite :

« les Bretons de tous âges, du pays gallo ou du pays bretonnant, [à enrichir] par votre spécificité la vie nationale […] Il n'y a aucune contradiction entre la volonté de vivre la culture bretonne et la conscience d'être pleinement français. »

Bien entendu ce discours s’inscrit dans un contexte bien différent de celui prononcé à Quimper par le Général. Depuis le début de la décennie 70, la question régionale est redevenue prégnante en Bretagne. Celle-ci s’est notamment réinstallée par la promotion de la culture bretonne et la défense de la langue. Malgré les coups d’éclat du FLB pour imposer un agenda plus politique, les revendications régionalistes demeurent en grande partie souillées par les agissements collaborationnistes d’un certain nombre de militants sous l’Occupation. C’est ainsi que le président Giscard d’Estaing annonce la signature prochaine d’une « charte culturelle destinée à favoriser le maintien des cultures bretonnes sous toutes leurs formes ». Prévue pour entrer en vigueur dès le « début de l’année prochaine », elle doit être signée par l’Etablissement public régional de Bretagne (équivalent de l’actuel Conseil régional) et les cinq conseils généraux des Côtes-du-Nord, du Finistère, d’Ille-et-Vilaine, de la Loire-Atlantique et du Morbihan. Au-delà de la reconnaissance symbolique des cultures de Bretagne, la charte permet la mise en place du Conseil culturel de Bretagne, ainsi que des moyens financiers.

Sonneurs de la région de Ploërmel. Carte postale. Collection particulière.

Au final, en prenant un peu de recul, on pourrait percevoir l’octroi d’une charte culturelle par Giscard d’Estaing comme un pis-aller. En effet, en 1977, la période de forte croissance économique des Trente glorieuses s’éloigne. Le président n’a plus rien à proposer aux Bretons en matière de développement économique. Alors que la région s’était jusqu’ici fortement développée en matière industrielle et d’infrastructures grâce à l’action coordonnée du CELIB et de l’Etat. Pour autant, il n’est pas question de répondre favorablement aux revendications politiques portées notamment, par l’intermédiaire d’actions violentes, par le FLB. La décentralisation des pouvoirs n’est pas encore l’ordre du jour. Dès lors, répondre aux revendications culturelles des Bretons semble être le meilleur des compromis pour l’Etat.

Thomas PERRONO

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « Valéry Giscard d'Estaing à Ploërmel », Bretagne actualités, FR3 Bretagne, 09/02/1977, en ligne.

2 REMOND René, La Droite en France de 1815 à nos jours. Continuité et diversité d'une tradition politique, Paris, Aubier, 1954.