Vu à la TV : Noël en Bretagne

Noël constitue sans conteste l’un des plus importants marronniers journalistiques de l’année, avec la rentrée scolaire. Entre traditions religieuses, familiales, voire folkloriques, cette fête se prête aisément aux nombreux reportages que réclame le petit écran, comme cette invitation dans le salon de l’écrivain Pêr-Jakez Hélias qui se remémore, en breton, avec ses invités écrivains et journalistes, le Noël de leur enfance, dans les années 1920-1930. Mais, au-delà des mémoires individuelles de ces quelques Bretons médiatiques, est-il possible de percevoir des évolutions dans ce rituel célébré en Bretagne à partir de reportages télévisés de trois décennies différentes ? Et plus intéressant encore, le discours journalistique a-t-il évolué dans le traitement de l’événement ?

Carte postale. Collection particulière.

Pour commencer, on ne redira jamais assez à quel point les archives de l’INA sont une mine d’or pour l’historien. Il nous a ainsi été possible de trouver, en quelques clics, trois reportages télévisés qui évoquent la fête de Noël dans la péninsule armoricaine. Le premier date du 24 décembre 1943, dans une France alors en pleine Occupation1. Le deuxième a été diffusé le 25 décembre 1968 sur l’ORTF, quelques mois après les événements des mois de mai et juin2. Le troisième est une immersion dans une petite commune du Finistère sud, Melgven, deux mois après l’ouragan d’octobre 19873.

Le point de vue journalistique sur la fête de Noël en Bretagne est clairement centré sur la fête religieuse. Le reportage tourné en 1943 est une immersion dans une petite église paroissiale, non localisée précisément comme si toutes les communes bretonnes vibraient de la même ferveur religieuse au même moment. Le téléspectateur assiste à la célébration de la messe de minuit. Une célébration qui fait le syncrétisme entre la rigueur du rite tridentin, la participation musicale d’un bagad et la danse traditionnelle des bergers au pied de l’autel. 44 ans plus tard, les habitants de la commune de Melgven, durement touchée par l’ouragan, sont montrés comme une communauté paroissiale qui se soude, en cette nuit de Noël, autour de son église dont la charpente s’est envolée avec la tempête. En revanche, pas d’image de célébration religieuse en 1968, mais la découverte d’une crèche centenaire dans l’église de Port-Launay, dans le Finistère.

Autre caractéristique du Noël breton tel qu’on le perçoit dans ces reportages, c’est le développement d’un discours autour de la nécessité de penser aux absents lors de cette fête caractérisée pourtant par une forte dimension familiale. C’est bien entendu le cas en 1943, par l’intermédiaire de France actualité :

« Pensons surtout, de tout notre cœur, et avec quel déchirement à nos absents. Aux êtres chers qui dans les stalags et les oflags vont vivre leur quatrième Noël. Pensons aussi à nos ouvriers qui seront loin de leurs chez eux, loin de leur pays, en ces heures où il fait bon être dans la chaude intimité du foyer. »

Nulle difficulté à lire entre les lignes de la censure de l’Occupation pour comprendre que les « êtres chers » sont les prisonniers de guerre et les « ouvriers […] loin de leurs pays » les travailleurs réquisitionnés dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO). En 1968, un marin posté sur la jetée d’un petit port breton ne peut « s’empêcher de penser à nos camarades qui sont en mer et qui ne pourront passer les fêtes avec nous ».

La rudesse du climat breton en cette saison est également présente dans les reportages. C’est bien entendu le cas en 1987, alors que les habitants sinistrés par l’ouragan commencent à réaliser l’ampleur des dégâts, puisque les « vents du 15 octobre ont emportés 15 milliards de francs de forêts, d’équipements et d’installations agricoles ». Mais, déjà en 1968, le marin interviewé témoigne du fait « que pour nous, en Bretagne, le mois de Noël est celui des tempêtes ». Pour l’anecdote, on pourra faire remarquer qu’en breton, le mois de décembre se dit miz kerzu, soit le mois « encore plus noir ». Tout un programme…

Carte postale. Collection particulière.

La seule évolution notable reste la disparition des costumes traditionnels bretons portés par les paroissiens entre 1943 et 1987. Et encore, on peut se demander si les images tournées pendant la Seconde Guerre mondiale ne sont pas une mise en scène d’une Bretagne traditionnelle et intemporelle, chère au discours de la Révolution nationale de Vichy. Au final, malgré trois Noël insérés dans des contextes extraordinaires – guerre, mouvement social d’ampleur inédite et phénomène météorologique destructeur –, on se rend compte que le discours ne change que peu dans le traitement journalistique de cet événement récurrent. Comme si la recette du marronnier était aussi immuable que celle de la bûche aux marrons que vous mangerez lors du réveillon.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 INA. « Noël », Journal France Actualités, 24/12/1943, en ligne.

2 INA. « Noël à Rennes », ORTF, 25/12/1968, en ligne.

3 INA. « Noël en Bretagne, Antenne 2, 27/12/1987, en ligne.