Plaider pour l’organisation aérienne du territoire en 1927

Véritable serpent de mer environnemental,  le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes jalonne plus de 50 ans d’histoire de la Bretagne. Conduit au nom du développement économique, il constitue une profonde ligne de fracture entre « pros » et « antis ». S’il ne nous appartient bien évidemment pas, dans le cadre de ces colonnes, de juger du bien-fondé des propos échangés lors des – vifs – débats ayant entouré ce dossier, force est néanmoins de remarquer que ces arguments appartiennent, eux aussi, à une certaine période de l’histoire. Rendant compte d’un intense débat parlementaire sur l’aéronautique française dans son édition du 10 décembre 1927, L’Ouest-Eclair nous permet de réaliser que ce domaine est alors moins envisagé sous un angle économique que militaire1. Et c’est d’ailleurs bien pour cela que le grand quotidien breton s’inquiète du retard pris en la matière par la France.

L'aéroport du Bourget, en région parisienne, dans les années 1920 le plus moderne de France. Carte postale. Collection particulière.

Moins de dix ans après l’Armistice du 11 novembre 1918, la question aéronautique est des plus sensibles et, en ce 9 décembre 1927, enflamme rapidement l’Assemblée nationale. En effet, l’avion est alors avant tout compris comme un engin militaire, ce qui n’est pas sans susciter un certain nombre de résistances dans une société caractérisée par un pacifisme intransigeant. C’est d’ailleurs bien là le sens du propos d’un député communiste relayé par L’Ouest-Eclair, celui-ci s’élevant « contre les augmentations de crédit prévues à ce budget qui est, dit-il, un budget de guerre ». Si le but de ce parlementaire est manifestement de tout mettre en œuvre pour protéger Moscou, il n’en demeure pas moins que la distinction entre aviation civile et militaire n’est alors pas aussi hermétique qu’elle peut l’être aujourd’hui.

C’est du reste bien pour cela que le quotidien breton reprend à la lettre les propos de Pierre-Etienne Flandin, ancien sous-secrétaire d’Etat à l’Aéronautique et futur éphémère Président du Conseil sous Vichy. Devant se justifier de la réduction des stocks militaires au sortir de la Grande Guerre, à une époque où l’armée française est considérée comme la plus moderne du monde car la plus mécanisée, il doit alors répondre d’une situation dont L’Ouest-Eclair paraît s’alarmer :

« Outre-Rhin que se passe-t-il ? 23 900 kilomètres de lignes aériennes sont maintenant en service régulier équipés avec 61 aéroports. A l’aérodrome de Cologne, il y a 42 arrivées et départs réguliers par jour. A Halle il y en a 28. En 1926, tandis que toutes nos lignes ensemble transportaient 18 861 voyageurs, la Lufthansa en a transporté 56 268. Et les progrès ont continué en 1927. »2

Et Pierre-Etienne Flandin de poursuivre son propos en énumérant les records décrochés par les appareils allemands, le nombre d’avions construits par la République de Weimar et le catalogue de certaines firmes germaniques qui ne proposent à la vente que des engins militaires. Partant de ce constat et n’hésitant pas à opérer un virage à 180° par rapport à la politique dont il fut lui-même un des éminents exécutants quelques années plus tôt, il déclare « vouloir la paix » mais également se résoudre à réclamer une hausse du budget de l’aéronautique pour que cesse cette domination de l’outre-Rhin, et donc cette menace qui pèse sur la France. Demandant des « réformes urgentes », il plaide pour la production de nouveau avions, le développement d’écoles de pilotes et une « organisation aérienne de notre territoire », autrement dit la construction de nouveaux aéroports.

L'aéroport de Chemnitz, près de Dresde et Leipzig. Carte postale expédiée en 1933. Collection particulière.

Un tel propos est particulièrement intéressant. Il rappelle en effet que la République de Weimar, aujourd’hui perçue comme intrinsèquement pacifique et vertueuse par rapport à l’arrivée, six ans plus tard, d’Hitler au pouvoir, n’est pas nécessairement considérée comme telle en ces années 1920. Au contraire, c’est bien une véritable crainte que montrent ces propos de Pierre-Etienne Flandin, mots qui ne sont pas sans rencontrer une certaine audience puisqu’ils sont reproduits en détail par L’Ouest-Eclair. Ce faisant, le quotidien breton rappelle que c’est bien au prisme de la Défense nationale qu’est alors considérée l’aéronautique, la création d’un aéroport relevant plus de la stratégie militaire qu’économique.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « Dans une séance de nuit, M. P.-E. Flandin fait un impressionnant exposé de la situation actuelle de l’aviation dans le monde », L’Ouest-Eclair, n°9512, 29e année, 10 décembre 1927, p. 3.

2 Ibid.