1958 : le 40e anniversaire du 11 novembre 1918
1958 est une année riche du point de vue commémoratif. Le retour au pouvoir du général de Gaulle est en effet indissociable d’une certaine réactivation de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, comme en attestent par exemple les cérémonies du 18 juin. Mais la Première Guerre mondiale occupe également une place importante en 1958 puisque cette année est également celle du 40e anniversaire de l’Armistice du 11 novembre 1918. Précieuses, les archives filmées de l’INA permettent de revenir sur le dispositif commémoratif, tant à Paris qu’à Rethondes, manifestations que la presse bretonne suit avec assiduité1. Et pour cause.
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Un 11 novembre comme un passage de témoin entre René Coty, à gauche, et Charles de Gaulle. Crédit: Fondation Charles de Gaulle. |
Une première surprise est de constater que ce n’est pas le général de Gaulle qui est au centre des regards mais le Président – encore pour quelques jours – de la République, René Coty. Surprenant de prime abord, cette distribution des rôles est toutefois, à mûrement y réfléchir, assez logique. On sait en effet que la séquence 14-18 n’est pas la plus heureuse pour l’homme du 18 juin : si les conditions de sa capture ne sont pas encore un sujet de polémique2, sa captivité demeure une plaie douloureuse et il n’y a rien d’étonnant, au final, à ce que le Grand Charles choisisse de rester en ce jour férié à Colombey. Ancien engagé volontaire au 129e régiment d’infanterie du Havre, René Coty n’a pas ces états d’âme et prend plaisir à se retrouver au milieu des poilus, ses anciens compagnons d’armes. A Rethondes, là où est signé l’Armistice, il prend d’ailleurs soin de s’arrêter longuement devant le drapeau de son ancienne unité3.
Par ailleurs, la commémoration du 40e anniversaire du 11 novembre 1918 offre à René Coty l’occasion d’un discours qui, non seulement lui permet de se livrer à un grand moment de pédagogie mais constitue une parfaite porte de sortie pour celui qui, en cette fin d’année 1958, achève sa carrière politique, poussé à la retraite par le Général et sa nouvelle République. Revêtant pour la circonstance ses habits de « père de la Nation », il exhorte dans un discours plein d’emphase et d’allant le peuple français à s’unir « comme il y a 40 ans, dans la même certitude et dans la même fierté d’être la France immortelle »4.
C’est là une caractéristique très intéressante de ces commémorations du 11 novembre 1958 que confirment du reste les archives de l’INA : le caractère strictement franco-français des cérémonies. Tant à Paris qu’à Rethondes, on ne parvient – presque – pas à trouver autre chose que des drapeaux tricolores. En pleine période de guerre froide, il aurait bien entendu été surprenant de voir au pied de l’Arc de triomphe des drapeaux soviétiques, même si l’on sait la geste commémorative propice au dialogue diplomatique. Mais il ne se s’agit pas là d’un cas exceptionnel : à en juger par les archives de l'INA, ni l’Union Jack ni même le drapeau belge, cette Poor Little Belgium qui est pourtant une des raisons de la participation de la France au conflit, n’ont droit de cité dans le dispositif commémoratif. Seule exception, une Bannière étoilée que l’on peut distinguer rapidement parmi une multitude de drapeaux tricolores autour de la flamme du soldat inconnu et à proximité du célèbre wagon de Rethondes. Mais René Coty est bien le seul chef d’Etat présent pour l’occasion, aucun dirigeant des pays alliés lors de la Grande Guerre n’ayant fait le déplacement.
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La wagon de Foch, étape incontournable du cérémonial du 40e anniversaire de l'Armistice du 11 novembre 1918. Carte postale, collection particulière. |
En ce 11 novembre 1958, la France ne parle en réalité qu’à elle-même, oubliant que cette guerre fût mondiale. Or un tel « hexagocentrisme » du discours n’a rien d’étonnant. Traumatisé par une profonde crise politique que d’aucuns comparent à un « coup d’état » opéré par un « fasciste », rejouant en quelque sorte la montée des périls des années 1930 ; enlisé en Algérie dans une guerre qui ne veut pas encore dire son nom et se cache pudiquement sous l’appellation « d’événements », le pays est assurément divisé. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que la Nation profite de cette fenêtre commémorative pour se draper dans les habits du vainqueur unique d’un conflit certes mondial, mais dont l’histoire s’écrit encore sur un mode strictement national5. De plus c’est oublier que le risque de division est d’autant plus grand que le premier tour des élections législatives doit se dérouler deux semaines plus tard, le 23 novembre 1958. La commémoration renseigne définitivement plus sur le climat du moment que sur le passé mis en exergue.
Erwan LE GALL
1 INA : AFE03006704 et AFE03006693.
2 Sur cette question on renverra à l’excellent NEAU-DUFOUR, Frédéric, La Première Guerre de Charles de Gaulle, Paris, Tallandier, 2013.
3 « Monsieur René Coty au carrefour de Rethondes », Ouest-France, 12 novembre 1958, p. 3.
4 Ibid.
5 Sur cette question se rapporter au classique PROST, Antoine et WINTER, Jay, Penser la Grande, un essai d’historiographie, Paris, Seuil, 2004. |