L’abbé François Cadic, le recteur des Bretons de Paris

Au tournant des XIXe et XXe siècles, à une époque, où les Bretons débarquent à Paris par dizaines de milliers1, un ecclésiastique, l’abbé François Cadic, souhaite venir en aide à ces nouveaux « parias » de la capitale. Or ses réalisations concrètes en faveur de ces émigrés ne sont pas sans aller avec un discours très noir, et orienté idéologiquement.

Carte postale. COllection partiucière.

François Cadic naît le 29 septembre 1864 au village de Kerio en Noyal-Pontivy, dans le Morbihan. Il est le onzième et dernier enfant d’une famille de cultivateur. Entré au petit séminaire de Sainte-Anne-d’Auray en 1880, il se découvre une passion pour l’histoire et la culture du pays de Vannes auprès de professeurs comme Jérôme Buléon ou le futur évêque de Quimper et Léon Adolphe Duparc. Il poursuit sa formation d’ecclésiastique au séminaire de Vannes puis dans un collège de Blois, avant d’être ordonné prêtre en 1889. Il part alors à Paris pour poursuivre ses études d’histoire, d’abord à l’Université catholique de Paris jusqu’en 1891, puis à l’Ecole pratique des hautes études pendant deux ans. Par la suite, il embrasse une carrière de professeur au collège des Jésuites de la rue de Madrid (8e arrondissement), avant d’obtenir en 1897 une chaire à l’Université catholique de Paris, située dans le 6e arrondissement, derrière le quartier Notre-Dame-des-Champs.

C’est en arpentant ce quartier proche de Montparnasse que l’abbé Cadic découvre la misère dans laquelle se trouvent un grand nombre de Bretons venus chercher un meilleur destin dans la capitale. Influencé par la doctrine sociale de l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII, il décide d’organiser une solidarité communautaire à destination des Bretons de Paris. C’est ainsi qu’au printemps 1897 il fonde à Notre-Dame-des-Champs l’association La Paroisse bretonne de Paris – déclarée en préfecture un an plus tard. Son premier objectif est de « placer » ses adhérents dans l’emploi : 600 la première année, le double la suivante.2 L’œuvre sociale se développe rapidement avec la création de nouveaux services : vestiaires pour les nécessiteux, bibliothèque populaire, magasin de produits de première nécessité et même un système mutualiste qui permet aux Bretons sans travail d’être soutenus financièrement par ceux qui en ont un. En avril 1899 est créé le Bulletin de la Paroisse bretonne, un journal mensuel qui porte haut sa vocation catholique puisque l’on y retrouve les sermons prononcés par l’abbé Cadic lors des offices dominicaux dans l’église Notre-Dame-des-Champs, mais aussi une forte identité bretonne à travers des rubriques comme « Histoire de Bretagne », ou « Contes et légendes ».

Il faut dire, que l’abbé Cadic a également entrepris une vaste entreprise de collecte de 200 contes et légendes et de 150 chansons.3 Dans ce travail, on remarque notamment un fort goût pour l’histoire de la chouannerie. Dans la droite ligne des Blancs de Bretagne, et dans un contexte d’enracinement de la République qui voit s’affronter cléricaux et anticléricaux, Cadic développe une vision conservatrice de la société bretonne et se montre très hostile à l’émigration, notamment par peur que ces individus partis vers l’ailleurs, en oublient leur culture bretonne et leur foi catholique. Dans son journal, il n’hésite pas à développer une vision apocalyptique de la situation des Bretons de Paris, comme en 1901, quand il les compare aux « esclaves […] sur les marchés de Rome » qui doivent s’engager auprès du plus offrant, sous peine de finir dans la rue, « la nuit sur les bancs, les croûtes de pain disputées aux chiens sur la chaussée et la perspective d’être recueilli par la police »4. Un discours radical qui avait été clairement annoncé en avril 1899 quand La Paroisse bretonne se déclarait : « l’ennemie de l’émigration»5. Une émigration qui criminaliserait les Bretons, puisqu’ils se retrouvent au premier rang des statistiques de la délinquance parisienne – vagabondage et ivresse sont des motifs récurrents d’arrestation –, alors que la Bretagne semble préservée par ce fléau.6 Une émigration qui serait également à l’origine de nombreuses maladies, notamment la tuberculose. Et en ce qui concerne l’émigration féminine, Cadic met en accusation les familles bourgeoises parisiennes, qui profiteraient de leur villégiature estivale en Bretagne pour ramener avec eux une bonne bretonne.7

Carte postale. Collection particulière.

Après la Première Guerre mondiale, la Paroisse bretonne de Paris perd de son influence sur les émigrés bretons. Il faut sans doute y voir la fin du temps des parias de Paris. Mais une autre explication, plus mécanique, peut également être avancée puisqu’au cours de l’entre-deux-guerres se développe un certain nombre d’associations laïques, dont la plus importante est la Fédération des Bretons de Paris. Toujours est-il que la Paroisse bretonne de Paris ne survit pas à son fondateur – en avril 1929 pour le journal et en mai pour l’association – qui meurt le 27 juillet 1929 à Saint-Jean-Brévelay, dans son Morbihan natal. Pourtant, cette disparition ne marque pas la fin de l’influence catholique sur la communauté bretonne à Paris, puisqu’en 1950, l’abbé Elie Gautier – un autre prêtre et historien des émigrations bretonnes – fonde la Mission bretonne, qui s’implante rue Delambre, à quelques encablures de la gare Montparnasse et de l’église Notre-Dame-des-Champs.

Thomas PERRONO

 

1 D’après l’abbé Gautier, 74 462 Bretons vivent à Paris en 1896 ( 98 656 dans le  département de la Seine). Cinq ans plus tard, ils sont désormais 87 037 à Paris en 1901 (119 065 pour la Seine). Chiffres cités dans GAUTIER, Elie, L’émigration bretonne. Où vont les Bretons migrants. Leurs conditions de vie, Paris, Bulletin de  l’entr’aide bretonne de la région parisienne, 1953, p. 65.

2 LEMANS, Constance, Les Bretons et leurs associations à Paris entre les deux guerres, Perros-Guirec, Anagrammes, 2009, p. 39.

3 Ces textes ont été réunis par Fañch Postic et publiés entre 1997 et 2003 aux Presses universitaires de Rennes.

4 Propos cités par l’abbé Gautier dans : GAUTIER, Elie, L’émigration bretonne, op cit, p. 168.

5 MOCH, Leslie Page, The Pariahs of yesterday. Breton Migrants in Paris, Durham and London, Duke University Press, 2012, p. 77.

6 TARDIEU, Marc, Les Bretons de Paris : de 1900 à nos jours, Monaco, éd. du Rocher,‎ 2003, p. 19.

7 MOCH, Leslie Page, The Pariahs of yesterday, op. cit., p. 79.