Le Pont de la rivière Kwaï, un « très grand film »
« Oui, un très grand film, dont les futures Histoires du Cinéma se souviendront, et qu’il faut ne surtout pas manquer ». Par ces mots élogieux, le journaliste Bernard Hamel vient conclure sa critique du film britanno-américain à succès Le pont de la rivière Kwaï1. L’article est reproduit et publié dans les colonnes de La Liberté du Morbihan le 4 janvier 1958, quelques jours seulement après la première projection dans les salles françaises, le 20 décembre 1957.
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Le fameux pont de la rivière Kwaï. Carte postale, collection particulière. |
En France, Le pont de la rivière Kwai suscite une attente particulière dans la mesure où, chauvinisme oblige, il est l’adaptation du roman éponyme de Pierre Boulle. Le célèbre écrivain français – qui rencontrera de nouveau le succès quelques années plus tard avec La Planète des singes – publie en 1952 un roman où il entremêle des éléments historiques avec ses propres souvenirs. Comme le rappelle Bernard Hamel, Pierre Boulle est en effet un « Français d’Indochine, résistant en Malaisie, prisonnier des Japonais les armes à la main puis évadé d’où l’on ne s’évadait pas ». Son histoire pourrait évoquer celle des hommes du colonel Nicholson – le héros interprété par Alec Guinness – mais il n’en est rien. Pas plus que ses personnages, (presque) tous issus de son imagination, Pierre Boulle ne prétend pas avoir participé à la construction de la « voie ferrée de la mort »2.
Loin de s’enorgueillir d’une réussite bien française, Bernard Hamel concède que le réalisateur britannique David Lean est parvenu à sublimer le roman en donnant au film « cette cadence extraordinaire grâce à laquelle, après plus de deux heures de projection, nous voilà étonnés, déçus qu’il se termine si vite… ». Le journaliste a beau être dithyrambique, il n’en reste pas moins lucide. Il reconnaît ainsi ne pas être « sûr que, parmi le drame de prisonniers, Le Pont de la rivière Kwai nous raconte le plus terrible ». Il cite plutôt en référence le film de Jack Lee, Ma vie commence en Malaisie (1956), qui, selon lui, « nous faisait mieux sentir la moiteur de la forêt et des rizières, l’épouvante sans nom de l’enfer vert, l’enlisement irrémissible, la marche au calvaire et l’espoir qu’on n’éteint pas ».
Dans la deuxième moitié de l’article, Bernard Hamer détaille méticuleusement le déroulement du film. A tel point que le lecteur breton, en se laissant porter par l’article, découvre les moindres détails de la scène finale. Quand on songe aux critiques virulentes formulées au XXIe siècle à l’encontre des journalistes qui « spoilent » des éléments déterminants d’un scénario, une telle pratique a de quoi surprendre. On peut d’ailleurs se demander si elle ne révèle pas une façon différente de consommer le cinéma dans les années 1950, à une époque où peu de ménages sont équipés de téléviseurs et où l’on rechercherait davantage l’assurance de la qualité d’un film avant de se rendre au cinéma.
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Carte postale promotionnelle. Collection particulière. |
La réception critique du film témoigne en revanche d’une certaine continuité des codes cinématographiques. Si le 26 mars 1958, Le Pont de la rivière Kwai récolte sept récompenses lors de la 30e cérémonie des Oscars, plus d’un demi-siècle plus tard, il est toujours considéré comme un chef d’œuvre du cinéma.
Yves-Marie EVANNO
1 HAMEL, Bernard, « Critique de la semaine », La Liberté du Morbihan, 4 janvier 1958, p. 10.
2 L’officier britannique Philip Toosey a en effet inspiré la création du personnage du colonel Nicholson.
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