« Elle siège, donc elle existe ! », 25 novembre 1920 : la première Assemblée générale de la Société des Nations vue par la presse bretonne
Parce qu’elle n’a pas su endiguer la montée des périls qui débouche sur le déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale en 1939, la Société des Nations est largement considérée comme un échec. Pourtant, à sa fondation au sortir de la Première Guerre mondiale, elle représente l’espoir de voir les conflits internationaux se régler entre diplomates et non plus les armes à la main, au sein
« [d’]une association générale des nations [qui] doit être constituée sous des alliances spécifiques ayant pour objet d'offrir des garanties mutuelles d'indépendance politique et d'intégrité territoriale aux petits comme aux grands États. »
C’était là ce que proclamait le dernier des « quatorze points de Wilson », le programme de traité de paix établi par Woodrow Wilson alors président des Etats-Unis. Le principe de création de « Société des Nations » est acté lors de la Conférence de la paix de Paris du 25 janvier 1919. La nouvelle organisation internationale tient sa première réunion un an plus tard à Londres, puis sa première Assemblée générale, avec les représentants de 41 nations, en son siège genevois le 15 novembre 1920. Retour sur cet événement au prisme des deux grands quotidiens bretons de l’époque : le chrétien-démocrate L’Ouest-Eclair et le radical La Dépêche de Brest.
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Carte postale. Collection particulière. |
Remarquons tout d’abord que dans les éditions des 15 et 16 novembre des deux quotidiens, l’information se trouve à la une mais n’est jamais le plus gros titre. De plus, les articles se bornent largement au factuel : L’Ouest-Eclair annonce ainsi que
« la délégation française est arrivée ce matin [14 novembre] à Genève […] La délégation est composée de MM. Léon Bourgeois, Viviani et Hanotaux. »1
Les deux quotidiens notent que « Genève reçoit avec éclat les délégués des puissances »2. Autre similitude, ils espèrent que le Français Léon Bourgeois deviendra le premier président de la Société des Nations à l’issue de la première séance ce qui montre, au passage, qu’il y a toujours une forte dimension nationale au sein des institutions internationales. Au programme des travaux de l’assemblée : « admission des Etats qui ne sont pas désignés dans l’annexe du pacte, questions financières, Cour permanente de justice internationale, boycottage économique ».
Mais bien au-delà, deux problématiques pèsent au-dessus de l’assemblée, comme une épée de Damoclès : la question de l’admission de l’Allemagne et l’attitude des Etats-Unis à l’égard de la Société des Nations. Dans le premier cas, Français et Anglais se positionnent « contre l’admission de l’Allemagne » d’après les propos rapportés, par La Dépêche de Brest, d’un diplomate français. Ce dernier argue même qu’il s’agit en réalité d’un faux problème puisque « l’Allemagne elle-même ne demande pas son admission ». L’Ouest-Eclair prend encore moins de précautions et affirme à la suite d’une déclaration d’un Britannique : « L’Allemagne peut et doit payer ». En ce qui concerne les Etats-Unis, les diplomates présents à Genève semblent espérer une entrée rapide de la nouvelle puissance mondiale au sein de la Société des Nations, alors qu’un imbroglio politique autour de la signature du Traité de Versailles se joue entre le Congrès et le président Wilson. Les tiraillements américains au sujet de la participation ou non à la Société des Nations éclairent les critiques et le scepticisme qui entourent la création de l’organisation internationale. En réponse, un membre de l’assemblée se sent obliger de déclarer que « la manifestation de demain [15 novembre] prouvera au monde que, pour morte, la Société des Nations se porte assez bien ». A l’avenant, lors du discours inaugural, le Suisse Giuseppe Motta affirme que « la Société des Nations vivra » puis, poursuivant dans un bémol : « mais il serait puéril de lui demander des miracles »3.
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Carte postale. Collection particulière. |
Au final, les deux grands quotidiens bretons se bornent largement à décrire l’ambiance et les enjeux qui entourent cette première Assemblée générale de la Société des Nations. Aucune analyse géopolitique n’émane des articles, hormis les propos rapportés des diplomates présents sur place. Aucun enthousiasme ne transpire non plus à l’heure de porter sur les fonds baptismaux cette première organisation internationale. Avec sans doute une pointe d’ironie, La Dépêche de Brest résume parfaitement la situation : « Elle siège, donc elle existe ! »4
Thomas PERRONO
1 « L’Assemblée générale de la Société des Nations s’ouvre aujourd’hui à Genève », L’Ouest-Eclair, 15 novembre 1920, p. 1.
2 « L’assemblée plénière de la Société des Nations aura lieue aujourd’hui », La Dépêche de Brest, 15 novembre 1920, p. 1.
3 « La première assemblée des Nations a eu lieu hier à Genève », L’Ouest-Eclair, 16 novembre 1920, p.1.
4 « La Société des Nations à Genève », La Dépêche de Brest, 16 novembre 1920, p. 1.
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