Histoire d’un boulimique : Alexandre Lefas

S’il est une figure parlementaire bretonne oubliée, c’est bien celle d’Alexandre Lefas. Parlementaire inamovible, d’abord député d’Ille-et-Vilaine élu en 1902 puis sénateur de ce même département à partir de 1933, il préside par ailleurs le Conseil général de 1924 à 1928. Pourtant, sa mémoire est aujourd’hui des plus confidentielles, à l’exception peut-être d’une rue dénommée en son souvenir à Rennes. Il est d’ailleurs à se demander si ce n’est pas cette carrière aussi longue que pléthorique qui n’est pas à la source même de se relatif oubli, comme si le dossier Lefas était finalement trop volumineux pour en rédiger la biographie.

Carte postale. Collection particulière.

L’histoire d’Alexandre Lefas est d’abord celle d’un jeune homme brillant. Né à Vannes le 20 septembre 1871, soit donc quelques mois seulement après la signature du traité de Francfort mettant fin à la guerre franco-prussienne, il effectue ses études à Laval puis à Paris. Licencié, agrégé puis docteur en droit, il devient avocat à la cour d’Appel de Paris et, parallèlement, enseigne à l’université d’Aix-en-Provence, puis à celle de Lille. Mais cette charge de cours ne semble manifestement pas alourdir suffisamment son agenda puisque, dans le même temps, il est élève de l’Ecole du Louvre et de l’Ecole des hautes études ! Alexandre Lefas est un véritable boulimique de savoir et, doté d’une culture encyclopédique, il publie plusieurs ouvrages et collabore régulièrement aux colonnes de L’Ouest-Eclair, le fameux quotidien rennais.

C’est donc presque sans surprise que l’on retrouve cet avocat touche-à-tout en politique, élu pour la première fois député d’Ille-et-Vilaine lors des élections législatives de 1902 (scrutin qui a lieu alors que la Bretagne apprend stupéfaite la nouvelle de l’éruption de la Montagne pelée, sur l’île de la Martinique). Républicain libéral, c’est dans la circonscription de Fougères, et au sein du canton de Saint-Aubin-du-Cormier, que s’inscrit son action politique. Curieusement, la seule interruption de la carrière parlementaire d’Alexandre Lefas est enregistrée lors des élections législatives de 1919, celles qui accouchent d’une chambre bleu horizon. Pourtant on sait que le député d’Ille-et-Vilaine, mobilisé en tant que lieutenant d’état-major à la direction des transports, se signale dès le mois de septembre 1914 dans l’affaire, devenue rapidement mythique, dite des Taxis de la Marne. Mais le reste de sa guerre est malheureusement plus nébuleux et sans doute est-ce ceci qui le pousse à renoncer à se représenter devant les électeurs, ceux-ci accordant une prime évidente à l’expérience des tranchées.

Effectuant néanmoins son retour au Palais Bourbon en 1924, Alexandre Lefas est réélu député sans interruption jusqu’en 1932, date de son départ pour le Palais du Luxembourg. Au Parlement, il se distingue par de nombreuses propositions de lois touchant à des sujets aussi divers que variés : cumul des mandats, protection de l’enfance ou encore les conditions dans lesquelles le transfert des cendres d’un individu au Panthéon peut être prononcé ! Il est de même l’auteur de nombreux rapports parlementaires, textes relatifs à la réorganisation de l’Etat ou à l’abolition de la peine de mort. Devenu sénateur à 61 ans, son activité ne cesse pas, bien au contraire, et on le retrouve notamment à la vice-présidence de la commission de l’enseignement.

Carte postale. Collection particulière.

La débâcle de 1940 le saisit alors qu’il est âgé de 70 ans. Est-ce pour cela que, désemparé par une défaite inimaginable quelques semaines plus tôt, il vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain ? Il est difficile de le dire. Pour autant, ce scrutin marque la fin de sa carrière politique. Trop âgé pour être d’une quelconque efficacité dans la Résistance, il s’éteint en 1950 à Mézières-sur-Couesnon, entre Rennes et Fougères. Et malheureusement donc, il n’a toujours pas trouvé l’historien, ou l’historienne, qui pourrait lui consacrer une thèse doctorat. Comme si la boulimie, l’hyperactivité, d’Alexandre Lefas empêchaient toute enquête.

Erwan LE GALL