Le secret de la longévité

Vivre vieux et en bonne santé. Voilà une ambition qui obsède de nombreux Français, prenant fièrement l’exemple de leur compatriote Jeanne Calment qui, du haut de ses 122 ans et 164 jours détient depuis 1997 le record mondial de longévité, hommes et femmes confondus. Pourtant, à en croire la presse de l’entre-deux-guerres, le record de la Française n’aurait rien d’exceptionnel. Et pour cause, en 1930, les journaux relatent l’existence d’un « vieil homme [qui] marche vers ses trois-cent ans » et ce, sans donner « aucun signe de sénilité »1. Il est vrai que le sujet de la longévité semble trouver un réel écho dans la société bretonne, et française, d'alors.

Lin Qingyun en 1927. Wikicommons.

L’homme en question vit en Chine. Li Chung Yun – également orthographié Li Qingyun – aurait, « parait-il », atteint l’âge de 252 ans et se serait marié à 24 reprises2. Particulièrement prudent sur son compte, L’Ouest-Eclair use avec abondance du conditionnel pour évoquer ce cas « bien extraordinaire ». En effet, le Chinois serait né en 1677 quand, au même moment, Louis XIV régnait encore sur la France… « Pourquoi pas ? » peuvent bien se dire quelques lecteurs à une époque où la médecine a du mal à estimer l’espérance maximale de la vie humaine. Qui plus est, l’espoir est d’autant plus autorisé qu’un respectable professeur d’une université chinoise aurait trouvé des documents attestant de la naissance de Li Chung Yun au XVIIe siècle3.

Exceptionnel, le Chinois ne l’est pourtant pas tant que cela. A l’occasion du portrait qu’il lui consacre, le journal Comœdia s’exaspère de commenter un « concours » qui est en train de prendre une tournure « international[e] et intercontinental[e] »4. A cette même époque, il y a par exemple le Turc Zaro Aga qui est, lui aussi, particulièrement médiatisé. Mort en 1934 à l’âge de 161 ans, il affirmait bien se souvenir « de la Révolution française, de la mort de Louis XIV, de Napoléon et aussi de Washington, de Lincoln etc »5. Mais là encore, la presse fait preuve d’une grande prudence. En effet, des médecins d’Istanbul l’ayant ausculté à la fin des années 1920 ont formellement affirmé qu’il « n’avait certainement pas plus de 120 ans, à en juger d’après l’état et la dimension de ses os soumis à plusieurs examens radiographiques »6.

Qu’importe si elles sont vraies ou fausses, ces histoires ne manquent pas de fasciner les lecteurs. Ce qui les intéresse, c’est bien de percer le mystère de cette étonnante longévité. Selon certains, Li Chung Yun « aurait trouvé une fontaine de jeunesse sous la forme de plantes médicinales qui croissent sur les montagnes » 7. D’autres prétendent qu’il aurait même fabriqué un « élixir de jouvence » à partir de ces végétaux8. De son côté, Zaro Aga affirme seulement n’avoir jamais bu d’alcool de toute sa vie9.

Carte postale promotionnelle diffusée dans le cadre de la tournée américaine de Zaro Aga (verso). Collection particulière.

Il n’est donc pas surprenant que ces secrets de longévité deviennent l’objet d’un commerce. Si Li Chung Yun se contente de dispenser ses conseils au « cours d’une tournée de conférences qu’il va faire dans son pays », Zaro Aga en fait une affaire bien plus juteuse10. Il entame même une tournée mondiale qui trouve son apogée aux Etats-Unis. De la même manière que Richardo et The Great Omi exhibent sur scènes leurs tatouages, le Turc est devenu une curiosité pour laquelle les gens n’hésitent pas à se déplacer. Un « cirque de puces d’Atlantic City » lui aurait même proposé « 2 500 dollars par semaine pour paraître sur une scène », contrat qu’il a finalement décliné11. En revanche, il accepte la proposition de la ligue antialcoolique qui, en pleine prohibition, lui offre « 500 dollars par semaines » pour « apprendre aux foules [qu’il] a atteint son âge vénérable en ne buvant que de l’eau »12. Vivre vieux et bien est assurément une grande richesse qu’il convient de faire fructifier.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 « Le plus vieil homme du monde », Le Colon français républicain, 8 octobre 1929, p. 12 462.

2 « Pour vivre cent… et deux cents ans ! », L’Ouest-Eclair, 19 avril 1930, p. 1. L’âge est régulièrement avancé dans la presse. D’autres sources prétendent qu’il serait né en 1736…

3 « Pour vivre cent… et deux cents ans ! », L’Ouest-Eclair, 19 avril 1930, p. 1.

4 « Nos échos, Comœdia, 15-17 juillet 1928, p. 2.

5 « Le plus vieil homme du Monde », Le Nouvelliste du Morbihan, 17 août 1930, p. 1.

6 « La mort de Zaro Agha », Le Matin, 30 juin 1934, p. 3.

7 « Le plus vieil homme du monde », Le Colon français républicain, 8 octobre 1929, p. 12 462.

8 « Le Plus vieil homme du monde », Paris-Midi, 20 mars 1930, p. 2.

9 « Le plus vieil homme du Monde », Le Nouvelliste du Morbihan, 17 août 1930, p. 1.

10 « Le Plus vieil homme du monde », Paris-Midi, 20 mars 1930, p. 2.

11 « Le plus vieil homme du Monde », Le Nouvelliste du Morbihan, 17 août 1930, p. 1.

12 « L’Amérique sèche exploite les centenaires ! », L’Ouest-Eclair, 14 juillet 1930, p. 2.