Très lourd 1er mai 1936 breton

Jour de la fête du travail, le 1er mai est aussi, et peut-être même surtout, un excellent révélateur du climat social. La Bretagne, et plus encore la presse bretonne qui entend se faire l’écho de « l’opinion », quand elle ne souhaite pas la forger, ne font pas exception à cette règle. Par exemple, en 1934, L’Ouest-Eclair se révèle être un bon témoin des inquiétudes qui parcourent la société française après les émeutes du 6 février. Deux ans plus tard, le 1er mai 1936 se trouve intercalé entre les deux tours des élections législatives qui laissent entrevoir la perspective d’une victoire du Front populaire, éventualité face à laquelle personne n’est indifférent.

Carte postale. Collection particulière.

A Rennes, un rapide coup d’œil à L’Ouest-Eclair ne parait de prime abord pas révéler une situation particulièrement critique1. Le traditionnel « brin de muguet porte-bonheur » est célébré et si une grande réunion est organisée le 1er mai à la Maison du Peuple à l’initiative de la CGT, celle-ci n’empêche nullement le grand quotidien catholique d’accorder une large place dans ses colonnes à l’exposition de l’Union des femmes de France se déroulant dans la salle des Fêtes du Lycée ainsi qu’à un violent – mais sans gravité – accident de voiture ayant eu lieu à l’angle des rues Paul Bert et Leconte de L’Isle, à proximité immédiate du centre-ville. A Saint-Brieuc, Le Moniteur des Côtes-du-Nord annonce comme si de rien n’était les festivités à venir, à savoir la Saint Brieuc le 3 mai et la fête en l’honneur de Jeanne d’Arc – cette année-là le 10 mai – pendant laquelle aura lieu une grande revue des troupes sur la place du Champ de Mars .

Mais en réalité le climat se révèle être très lourd même si à Vannes le Nouvelliste du Morbihan se veut optimiste en titrant «  La France résiste à l’offensive du front révolutionnaire » et en se félicitant de « la place d’honneur » de la Bretagne « dans cette défense nationale contre l’ennemi de l’intérieur »3. A Rennes, L’Ouest-Eclair brocarde violemment les candidats de Front populaire et notamment le socialiste Albert Aubry et sa « hargne révolutionnaire ». Mieux, Louis-Alfred Pagès entend démontrer en première page, photographie à l’appui, en l’occurrence le cliché de la dépouille mortelle d’un nationaliste catalan de droite assassiné par des anarchosyndicalistes le 28 avril 1936, « la virulence, le fanatisme et le caractère totalitaire de l’entreprise extrémiste qui a été montée en France par Moscou ». Difficile d’agiter avec moins de vigueur le chiffon rouge communiste de manière à effrayer  le lecteur, et par la même occasion l’électeur. Semblable stratégie est d’ailleurs employée par Le Courrier du Finistère qui, à côté d’un « bilan de six semaines de gouvernement de Front populaire »  en Espagne, tableau présenté « avec la permission de la censure » répertoriant un décompte des « assauts et pillages », des « incendies » et des « troubles  divers »,  publie une tribune intitulée « le socialisme veut ruiner les petits ». A Saint-Nazaire, Le Courrier affirme que « face aux tenants du Drapeau Rouge, il est urgent d’unir tous les défenseurs du Drapeau tricolore ». Et d’expliquer vouloir « mettre un frein à la fureur de la vague révolutionnaire qui, en déferlant sur notre pays, après avoir ravagé la malheureuse Espagne, l’entraînerait à la guerre civile et à la guerre tout court »4.

Mais, chez les partisans du Front populaire, la presse mobilise également les opinions, non sans elle aussi électriser l’ambiance. Ainsi dans ce département qui s’appelle encore les Côtes-du-Nord, L’Echo briochin, mensuel qui se présente comme « l’organe d’union des gauches », interprète un discours prononcé le 10 mars précédent par Joseph Goebbels, le ministre du Troisième Reich à l’Education du peuple et à la Propagande, comme étant un « coup de force de Hitler contre la France du Front populaire pour lui imposer une dictature maintenant les privilèges des deux cents familles qui tirent les ficelles »5. A Morlaix, Le Breton socialiste, hebdomadaire « sous le contrôle » de la SFIO, revient sous la plume de Tanguy Prigent sur le premier tour du scrutin législatif, élection qui « a jeté le désarroi dans les rangs des politiciens de la bourgeoisie, égoïstes et bornés comme toujours »6. Même tonalité chez Le Travailleur de l’Ouest, organe de la SFIO en Loire-Inférieure, qui barre sa une d’un « En avant pour la République contre la réaction ! »

A La Montagne, non loin de Nantes, lors d'un meeting du Front populaire avec François Blancho, député-maire socialiste de Saint-Nazaire. Carte postale (réédition à l'occasion du 50e anniversaire de 1936). Collection particulière.

Au final, la presse bretonne témoigne de prises de positions qui apparaissent comme bien plus tranchées que 2 ans auparavant, où la dimension politique du 1er mai, en réaction aux émeutes du 6 février 1934, reste pour l’essentiel cantonnée aux pages nationales. Tel n’est point le cas en 1936 où le Front populaire est une véritable lame de fond informationnelle, reliant dans son sillage l’actualité locale, dans les circonscriptions où ont lieu le scrutin législatif, et internationale, par le jeu des miroirs antagoniques que constituent d’une part l’Espagne et, d’autre part, l’Allemagne. Sans oublier l'ombre de Moscou. En ce sens, le débat apparait non seulement trop violent mais trop polarisé pour que puissent se résorber rapidement les séquelles qui ne manqueront pas de naître du second tour de ces élections. Le Front populaire est donc indéniablement un événement, en ce qu’il marque une rupture nette, créant un « avant » et un « après ».

Erwan LE GALL

 

 

1 L’Ouest-Eclair, n°14 422, 2 mai 1936.

2 Le Moniteur des Côtes-du-Nord, 67e année, n°18, 2 mai 1916, p. 2.

3 Le Nouvelliste de Vannes, Lorient, Ploërmel, Pontivy, 3 mai 1936, p. 1.

4 Le Courrier de Saint-Nazaire & de la région, 70e année n°18, 2 mai 1936, p. 1.

5 « Hitler contre la France du Front populaire », L’Echo briochin, 2e année, n°4, avril 1936, p. 1.

6 PRIGENT, Tanguy, « Votez Peuple », Le Breton socialiste, 8e année, n°3666, 2 mai 1936, p. 1.

7 Le Travailleur de L’Ouest, 28e année, n°18, p. 1.