Une formidable mise en Seine bretonne

Les bords de la Seine accueillent en 1937 l’Exposition internationale des Arts et des Techniques appliqués à la Vie moderne, autrement dit l’Exposition universelle. L’évènement est de taille. Ce sont plus de 30 millions de curieux qui viennent découvrir 190 pavillons entre le 25 mai et le 25 novembre 1937. Les différents exposants rivalisent d’ingéniosité pour capter l’intérêt de cette foule nombreuse. Aujourd’hui, lorsqu’on songe à cette gigantesque exposition, on pense immédiatement à la rivalité des pavillons allemands et soviétiques, les deux se faisant face au pied de la Tour Eiffel. Toutefois, cette propagande internationale nous fait parfois oublier qu’aux côtés des grands pays, le patrimoine français tient une place importante, cinq hectares étant consacrés au village des régions. Pour les territoires représentés, l’enjeu est de montrer une province folklorique mais moderne, bien inscrite dans son temps.

Carte postale. Collection particulière.

La Bretagne possède son propre pavillon. Le Comité de Bretagne à l’Exposition universelle souhaite en effet profiter de ce fabuleux coup de projecteur pour casser l’image traditionnelle – pour ne pas dire arriérée – des départements bretons. Les organisateurs refusent dès lors de céder « [au] pittoresque, [aux] biniouseries, ou [à] la paysannerie conventionnelle »1. Place à la Bretagne dynamique, celle qui prend en main son développement.

L’exemple de la pêche semble particulièrement révélateur des préjugés admis sur la péninsule armoricaine. Les chiffres prouvent pourtant son leadership national. En 1938, sans prendre en compte le goémon et l’ostréiculture, les quantités débarquées en Bretagne s’élèvent à 80 000 tonnes soit 27,6 % du poisson qui arrivent dans les ports français2. De même, les 35 500 pêcheurs bretons comptent pour 53% des professionnels composant la flotte française. Mais malgré ces chiffres qui témoignent des transformations profondes de l’activité maritime (dont la motorisation), la Bretagne n’est pas considérée comme étant réellement dynamique. Ainsi, méconnue reste la réussite du port de Keroman à Lorient : inauguré en 1927, il devient néanmoins en l’espace de dix ans le deuxième port de pêche français après Boulogne-sur-Mer3.

En dépit de ces statistiques prolifiques, la région souffre donc d’une image désuète. Loin de se laisser abattre, le Comité de Bretagne à l’Exposition universelle décide de présenter à Paris un thonier « moderne », fruit du savoir-faire breton, pour le présenter à Paris. Ce sont les chantiers Krebs de Concarneau qui s’occupent de la construction du navire. Ce dernier est baptisé Jean Charcot du nom du célèbre explorateur, chef d’une emblématique mission au pôle nord (1933), disparu en mer quelques mois plus tôt. Le thonier est inauguré le 11 mai 1937 en présence du préfet du Finistère, de la veuve de Charcot et d’Octave-Louis Aubert, président du Comité de Bretagne. A 15h30, devant une foule nombreuse, le navire lève enfin l’ancre.

Le thonier, à l’aise sur mer, arrive rapidement au Havre. Lorsqu’il s’engage dans le chenal de la Seine, une nouvelle aventure commence pour un équipage peu habitué à la navigation fluviale. Ils sont désormais réduits à n’être que des « marins d’eau douce » pour reprendre l’insulte suprême d’un capitaine au long cours, héros d’une célèbre bande dessinée – même si, précisons-le pour éviter tout anachronisme, Archibald Haddock naît des pinceaux d’Hergé quelques mois plus tard, le 2 janvier 1941. On comprend mieux le sens de cette formule lorsqu’on se penche sur le destin de nos marins bretons. Arrivés à Rouen, ils doivent démonter les mâts, les navires ne devant pas excéder trois mètres de hauteur. Le patron Louis Guillou doit également se résoudre à se laisser seconder par un pilote plus aguerri aux passages des écluses. Le marin d’eau de mer perd en quelque sorte sa légendaire liberté.

Le pavillon de la Bretagne à l'Exposition universelle de 1937. Au premier plan, le Jean Charcot. Carte postale. Collection particulière.

La lente traversée n’empêche pas l’équipage d’arriver dans les temps à Paris. Le 28 juillet, le thonier-péniche s’amarre sur les bords de la Seine devant le pavillon breton encore en chantier. Deux jours plus tard, celui-ci est inauguré – bien qu’il ne soit pas totalement achevé –  en présence du sénateur du Morbihan Alphonse Rio et d’Octave-Louis Aubert. Ce dernier vante la modernité de son pays en prenant pour exemple le thonier qui a depuis retrouvé ses mâts :

« De l’adaptation des Bretons au progrès, de leurs aspirations vers le mieux, vous en avez encore la preuve tangible dans le Jean-Charcot, ce thonier magnifique que nous inaugurons aujourd’hui également, qui, par sa construction, son architecture, son aménagement répond pratiquement aux conceptions les plus extrêmes de la science moderne. »

Cette mise en scène particulièrement astucieuse du Comité breton n’a rien d’originale. Elle s’inscrit dans la continuité des initiatives menées, entre-autres, par Octave-Louis Aubert et Lucien Bahon-Rault depuis l’après-guerre : celle de montrer une région dynamique pour la rendre attractive. Le pavillon Bretagne regorge ainsi de projets ambitieux. Mais les organisateurs n’oublient pas de jouer sur certains stéréotypes quand cela les arrange. Ainsi, les serveuses de la crêperie du pavillon servent les galettes … en coiffe traditionnelle4. Après tout, le folklore, c’est aussi ce qui rend attractif une région.

Yves-Marie EVANNO

 

1 Arch. Nat., F12 12388 : Rapport sur le pavillon Bretagne : présentation, aménagement. sd. Cité par MANFREDINI, Julie, « La nation française mise en scène. Les territoires gastronomiques à l’Exposition internationale de Paris en 1937 », in HARISMENDY, Patrick, et ANDRIEUX, Jean-Yves, L’assiette du touriste. Le goût de l’authentique, Rennes, PUFR, 2013, p.229.

2 ROBERT-MULLER, Charles, (ouvrage terminé et complété par LE LANNOU, Maurice), Pêche et pêcheurs de la Bretagne Atlantique, Paris, Armand Colin, 1944, p. IX de l’introduction.

3 Avec 33 000 tonnes de poissons débarquées en 1938, Kéroman n’est devancé que par Boulogne (92 000 tonnes) et précède Dieppe (22 000 tonnes). ROBERT-MULLER, Charles, op. cit.

4 Arch. Nat., F12 12388 : Rapport sur le pavillon Bretagne… op.cit.