Usines et ouvriers d’Ille-et-Vilaine (1935-1945)

Nous avons déjà écrit dans ces mêmes colonnes tout le bien que nous pensons du concept « bande dessinée et histoire » exploité par les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine. Leur  dernière exposition, consacrée au monde ouvrier en Ille-et-Vilaine pendant la décennie 1935-1945, ne fait que confirmer ce propos. Ici, c’est l’œuvre de Bruno Loth qui offre la – splendide – trame graphique créant l’univers visuel de la scénographie, invitation aussi agréable qu’instantanément acceptée par le visiteur.

Un scénographie de grande qualité. Cliché E. Le Gall.

En termes de transmission de l’histoire au plus large public, cette exposition est non seulement une réussite mais elle est incontestablement importante. En effet, un département comme l’Ille-et-Vilaine se perçoit – et est la plus part du temps reconnu comme tel – avant tout comme essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, rural alors qu’il dispose d’un véritable tissus industriel. Ici, la situation est d’autant plus paradoxale que ce secteur d’activité est non seulement ancien, comme le rappelle l’exemple de la production toilière, mais qu’il représente une part non négligeable de l’activité : l’exposition évoque ainsi le chiffre de 21% de la population active en 1926.

Les productions sont multiples et variées (l’imprimerie et la tannerie à Rennes, la chaussure à Fougères, les machines agricoles à Redon pour ne citer que quelques exemples) et le visiteur les découvre en admirant les magnifiques en-têtes des courriers de ces entreprises. Prémices d’un secteur agroalimentaire appelé à peser durablement dans l’économie bretonne, l’exposition montre de touchantes bouteilles de lait et pots de yaourt des laiteries de Saint-Malo, Becherel et Châtillon-sur-Seiche provenant d’une collection privée. Seul petit bémol, on regrettera la trop faible place accordée à l’Arsenal, pourtant premier employeur de la ville de Rennes et probablement du département.

L’exposition rend bien compte des rudes conditions de vie de ces ouvriers d’Ille-et-Vilaine et s’attache à retranscrire l’histoire du mouvement social pendant la période. Pouvant paraitre de prime abord aride, celle-ci est magnifiquement servie par plusieurs objets exceptionnels qui à eux seuls justifient la visite : une affiche de la campagne du candidat Albert Aubry pour les élections législatives de 1936, une autre invitant à la « manifestation pacifiste du Front populaire » devant se tenir à Fougères le 11 novembre 1935, une liste d’émargement pour la Journée de secours à l’Espagne républicaine organisée par le PS-SFIO ainsi qu’un magnifique drapeau de la section du syndicat CGT des granitiers du Hinglé. Tous ces objets rendent cette histoire palpable, incarnent cette abstraction qu’est le « mouvement ouvrier » pour permettre au visiteur de saisir quelques trajectoires personnelles, des fragments de vie.

A Rennes, vue de la « Société anonyme des imprimeries Oberthur » , rue de Paris. Carte postale (détail). Collection particulière.

Continuant son cheminement à travers l’exposition, le visiteur est ensuite amené à aborder les conquêtes sociales du Front populaire et notamment l’accession aux loisirs, puis plonge dans les affres de la Seconde Guerre mondiale. La scénographie est aussi belle qu’efficace, offrant même une incursion dans un exemple-type d’habitat ouvrier. Au milieu du salon, sur un meuble, là où aujourd’hui git un quelconque robinet à images en plasma, trône une magnifique radio. On se surprend alors à manipuler les boutons du poste et à changer la fréquence afin de capter Londres. C’est dire si cette exposition est une réussite.

Erwan LE GALL