Bretagne, Grande Guerre et revues

Les revues sont une source inépuisable de découvertes et participent largement au renouvellement des connaissances, qu’il s’agisse de publications destinées au plus large public ou, au contraire, de périodiques ciblant un lectorat plus érudit, pour ne pas dire spécialisé. Et, hasard des programmes éditoriaux et du caractère parfois aléatoire du centenaire de la Grande Guerre oblige, il apparait que la Bretagne est à ce moment au sommaire de plusieurs bulletins particulièrement intéressants.

Joseph Pierre, dans la lettre du Chemin des Dames, une publication accessible gratuitement en ligne.

La première de ces publications, probablement bien connue des lecteurs d’En Envor, est la Lettre du Chemin des Dames qui permet de découvrir, dans son numéro daté d’octobre 2015, quelques lettres de Joseph Pierre, un poilu du 78e régiment d’infanterie territorial originaire de Saint-Cast, dans les Côtes-d’Armor .  Ecrites à une certaine Aline, avec qui on peut supposer une relation sentimentale, ces lettres disent bien d’une part le désœuvrement et l’importance de la correspondance pour se « désennuyer », d’autre part la réalité de la guerre des tranchées, notamment dans leur dimension olfactive du fait de la putréfaction des cadavres de soldats tués.

Ces quelques lettres contrastent grandement avec la correspondance de la famille Guillou – originaire d’Elliant, non loin de Quimper – publiée dans le dernier numéro des Cahiers d’Arkae , excellente revue dont nous avions eu l’occasion de parler il y a quelques mois à l’occasion de deux précédents volumes également consacrés à la Grande Guerre. Parsemé de passages en Breton, ce corpus de 213 lettres comprend des lettres de deux frères – Jean-François, l’ainé, tué sous l’uniforme du 147e RI et François, disparu pour sa part sous celui du 93e RI – ainsi que les réponses de leur sœur, Marie-Jeanne. A cette base, viennent s’ajouter quelques protagonistes périphériques tels que le vicaire Jacques Broc’h ou l’abbé Cavellat. Tous composent une correspondance d’autant plus intéressante qu’elle est parfaitement présentée par Jean-François Douguet, à qui l’on doit cette édition, et richement illustrée.

Ce qui frappe notamment dans ces lettres est l’omniprésence de la vie de la ferme, qui continue malgré la guerre et que les combattants, terrés dans leurs tranchées, aiment à se remémorer, comme une sorte de permission mentale leur permettant de s’extraire de leur quotidien. Il y est question des récoltes et des semis, de la production de chouchen, de la vente et de la gestation des bêtes… autant d’éléments qui permettent de bien pénétrer la société rurale du sud-Finistère pendant la Grande Guerre. La violence de guerre semble elle peu présente, contrairement aux lettres de Joseph Pierre, et invite à s’interroger sur la place de la foi dans cet état de fait (p. 56) : « Il est vrai que l’on est toujours en danger, mais je ne perds pas courage, j’ai toujours confiance de retourner sain et sauf, si Dieu le veut ». Faut-il voir dans ces quelques mots la force d’un fatalisme qui amènerait la correspondance à éluder les dangers du front puisque, dans tous les cas, c’est au Puissant qu’on se remet ?

Carte postale. Collection particulière.

L’hypothèse est séduisante et mériterait sans doute que l’on s’y penche. Néanmoins, on aura préalablement soin de se plonger dans le passionnant dernier bulletin de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine3. Le dossier que consacrent les membres de cette vénérable association à la Grande Guerre est en effet remarquable et constitue un complément idéal à l’excellent Hommes et femmes d’Ille-et-Vilaine publié l’année dernière4. Parmi les articles les plus marquants, citons une intéressante synthèse de Jacqueline Sainclivier sur le département entre 1914 et 1918, le propos d’Hermann Bayer sur les 75e, 76e et 78e RIT, trois régiments territoriaux dont le dépôt se trouve en Ille-et-Vilaine ainsi que la riche étude de Jean-François Tanguy sur les généraux nobles bretons dans la Grande Guerre, analyse que l’on confrontera volontiers avec le dernier ouvrage de Bertrand Goujon5.

Une mention toute particulière doit également être accordée au bel article de Jacques Charpy nous présentant la campagne aux Dardanelles du commandant Marcellin Charpy. Ce chef de batterie du 50e régiment d’artillerie, dont le dépôt est à Rennes, est en effet désigné pour faire partie du corps expéditionnaire d’Orient et livre à cette occasion des souvenirs d’autant plus éclairants qu’ils concernent un front trop peu connu de la Grande Guerre.

Mais, à dire vrai, si un article rend indispensable ce volume des mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, c’est celui qu’Anne Hoyau-Berry consacre aux épaves de la Première Guerre mondiale en Manche et en Atlantique. Non seulement il complète de la façon la plus avantageuse qu’il soit le propos de René Richard et Jacques Roignant sur les flottes terre-neuviennes des ports de Saint-Malo, Saint-Servan et Cancale, mais il aborde une dimension très peu étudiée de ce conflit : les recherches archéologiques et de surcroît sous-marines. A lui seul l’article d’Anne Hoyau-Berry dit le dynamisme de ces revues qui, toutes, nous livrent une production de qualité, contribuant largement à une meilleure compréhension de la Première Guerre mondiale.  

Erwan LE GALL

 

 

 

1 CHOAIN, Caroline, Joseph Pierre, Souvenirs d’un poilu breton, La Lettre du Chemin des Dames, n°35, Octobre 2015, p. 16-19.

2 DOUGUET, Jean-François, « Une famille de Basse-Bretagne face à la guerre. Correspondance de la famille Guillou (1914-1916) », Les Cahiers d’Arkae, n°20, juin 2015.  Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

3 Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, Tome CXIX/1, 2015.

4 JORET, Eric et LAGADEC, Yann (dir), Hommes et femmes d'Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre, Rennes, Conseil général d’Ille-et-Vilaine, 2014.

5 GOUJON, Bertrand, Du Sang bleu dans les tranchées. Expériences militaires de nobles français durant la Grande Guerre, Paris, Vendémiaire, 2015.