Un polytechnicien parisien parmiles artilleurs bretons : les lettres du sous-lieutenant Jean Labie

Rares sont les régiments bretons dont, à l’instar du 7e RAC, l’histoire peut être, grâce aux hasards de la conservation des archives familiales, éclairée par d’aussi nombreux et variés ego-documents. Après les carnets du capitaine Bodin, publiés en 1997 par Bretagne 14-18, après les mémoires du capitaine Leddet édités en 2012 par Anovi, après les lettres, aquarelles, dessins du capitaine Oberthür parues aux Presses universitaires de Rennes en juin 2016, c’est la correspondance d’un quatrième officier, le sous-lieutenant Jean Labie, qui est désormais à la disposition des lecteurs, bretons ou pas1.

Carte postale, collection particulière.

Or, si cette nouvelle source s’avère précieuse, notamment en ce que le jeune officier passe d’une section de munitions d’infanterie (SMI) du 7e au 50e RAC à l’automne 1914, éclairant du même coup la vie d’un autre régiment rennais au cours de cette phase cruciale de la guerre que constituent, pour le 10e corps d’armée, les combats d’Artois d’octobre 1914 à juillet 1915, le livre souffre cruellement de la comparaison avec ceux qui l’ont précédé. Si une – très, trop courte – introduction présente bien Jean Labie, polytechnicien de la promotion 1908, nommé à l’inspection des Finances en 1913, et sa correspondance – 364 lettres et cartes d’août 1914 à sa blessure en avril 1917, une tous les trois jours en moyenne –, l’appareil critique est limité à de rares notes infrapaginales, par ailleurs peu éclairantes. Il y a bien un index en fin d’ouvrage, mais un index… des seuls œuvres et écrivains cités par Jean Labie ! Tout est dit ou presque : s’il est bien entendu fort intéressant de se pencher sur les lectures de l’officier sur le front, en faire l’objet principal de la publication de cette correspondance est pour le moins étonnant. L’on chercherait en vain, en revanche, le moindre éclairage sur ceux qu’il côtoie, officiers des 7e et 50e RAC, que les JMO (disponibles en ligne…), les fiches « Mémoires des hommes » (id.), les dossiers de Légion d’honneur de certains, sans même parler des dossiers de carrière de ces officiers, en commençant par celui de Jean Labie lui-même auraient permis de connaître plus finement. Quant à l’utilisation des historiques de ces régiments ou encore des ouvrages les concernant déjà publiés, c’en était apparemment trop pour l’éditeur de ces lettres.

Bref, si le lecteur restera sur sa faim, faute de pouvoir situer telle ou telle action, tel ou tel personnage dans le cadre plus global des opérations, il pourra y trouver des éléments intéressants, notamment par le décalage parfois offert avec les sources déjà disponibles. Pour le jeune marié qu’est le sous-lieutenant Labie, la naissance annoncée de son premier enfant, au début de l’année 1915, est, on l’imagine, au cœur de nombreuses lettres. Parisiens parmi de nombreux officiers bretons d’origine ou d’adoption – ce « recrutement breton [qui] a l’air heureux » écrit-il le 5 août en arrivant à Rennes, parce que « résistant et silencieux » (p. 13) –, il prend parfois le temps de décrire ses « camarades », souvent avec un brin de condescendance. Il s’entend d’ailleurs mal avec le capitaine commandant la SMI à laquelle il est initialement affecté, et se réjouit d’une nouvelle affectation après la dissolution de cette unité fin septembre 1914, sympathisant avec « Le Gorrec, qui est au 50e » – d’ailleurs assez facile à identifier… Labie illustre aussi parfaitement ce que Ch. Prochasson a pu qualifier de « gouvernement à distance » du foyer par les combattants, depuis le front : lieu de résidence de son épouse, visites de courtoisie à rendre, mais aussi et surtout gestion du portefeuille d’actions de la famille sont au cœur de nombreuses lettres. « C’est toujours la même existence morne, la vie traînée, le lever à des heures indéterminées, plusieurs fois par jour une apparition au parc [d’artillerie], l’œil du maître ; comme seule distraction, la promenade à cheval pour aller déjeuner avec les camarades qui sont en batterie à quelques kilomètres de là » écrit-il le 2 novembre (p. 46), avec des mots qui auraient pu être ceux de Charles Oberthür, en position à quelques kilomètres de là, et qu’il a sans doute croisé.

Artilleur du 50e RAC, probablement dans la caserne du Colombier à Rennes, sans date. Carte postale, collection particulière.

On mesure mieux à ce type d’extrait tout l’intérêt qu’il y aurait eu à replacer Labie dans le petit cercle des officiers des 7e et 50e RAC, pour faire de ce livre une édition de source digne de ce nom. Une belle occasion manquée en quelque sorte…

Yann LAGADEC

 

 

 

 

 

1 BATIFOULIER, Christian (éd.), Un homme dans la guerre. Jean Labie, lettres à ma femme, 1914-1917, Paris, Ed. du Palais, 2016. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses. A propos du 7e RAC on renverra à BODIN, Charles, Les débuts de la guerre vécus par Charles Bodin, Plessala, Association Bretagne 14-18, 1997 ; LEDDET, Jean, Lignes de tir. Un artilleur sans complaisance, carnets de guerre, 1914-1918, Parçay-sur-Vienne, Anovi, 2012 ; CORBE, Bernard et LAGADEC, Yann, Charles Oberthür. Lettres de guerre (1914-1918), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016. Il conviendrait d’ailleurs d’y ajouter d’autres sources, inédites, à l’instar des albums photos du capitaine Alexandre Mounicot dont quelques clichés ont été publiés dans GUYVARC’H, Didier et LAGADEC, Yann, Les Bretons et la Grande Guerre. Images et histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.