La Route du Rhum 1978 : histoire d’une compétition mythique

La rivalité franco-britannique pour la domination des mers est séculaire, mais – fort heureusement – celle-ci s’est déplacée, au XXe siècle, de la guerre de course à la course au large. Au début des années 1970, l’épreuve la plus prestigieuse est sans conteste la Transat anglaise qui relie les ports de Plymouth (Royaume-Uni) à Newport (Etats-Unis) tous les quatre ans au mois de juin. Alors, quand l’édition 1976 est remportée par Eric Tabarly sur son voilier Pen Duick VI (73 pieds) et qu’Alain Colas franchit la ligne en cinquième position sur Club Méditerranée, un monocoque long de 236 pieds ; l’organisateur britannique, le Royal Western Yacht Club, décide de réglementer la taille des bateaux à 56 pieds, afin de stopper cette course au gigantisme, en grande partie due aux Français. Outre-Manche, la riposte s’organise rapidement. Dès le 13 décembre, l’homme de spectacle Michel Etevenon, appuyé par le monde de la voile, annonce sur Antenne 2 sa volonté de « mettre sur pied l’organisation, pour novembre 1978, d’une course transatlantique réservée aux bateaux, par exemple à partir de 18,5 mètres, et où seuls le moteur sera interdit »1. La Route du Rhum est née !

Préparatifs de départ à Saint-Malo à bord du trimaran Disque d'Or II. Wikicommons.

Le pied-de-nez français aux Britanniques n’est même pas voilé, puisqu’il termine en assurant, que si la course « partira de France, nos amis britanniques seront bien entendu les bienvenus ». Pour autant, gardons-nous d’y voir seulement une rivalité franco-britannique. Les organisateurs français cherchent également à surfer sur l’engouement que suscite la plaisance dans ces mêmes années. D’ailleurs, en marge du lancement de la première édition de la Route du Rhum, le quotidien Ouest-France enquête sur les « deux millions de plaisanciers » que compte le pays et s’émerveille des « dizaines de milliers de spectateurs, amateurs ou simples plaisanciers, qui sont attendus à Saint-Malo »2. Le port breton est même promu « capitale de la voile », lorsque s’aligne au départ le gratin des skippers : Alain Colas, Olivier de Kersauson, Philippe Poupon, Mike Birch etc. Seul absent, et non des moindres : Eric Tabarly, l’icône française de la voile, qui n’a pas réussi à trouver les financements nécessaires pour participer à cette première Route du Rhum. Mais face à tous ces marins, c’est « une étudiante âgée de 21 ans » qui fait l’actualité à la une du Ouest-France à la veille du départ. La jeune fille n’est autre que Florence Arthaud, cette digne héritière de Virginie Heriot que l’on surnommera bientôt « la petite fiancée de l’Atlantique »3.

Sur la ligne de départ, le 5 novembre, ce sont « 39 bateaux au total » qui sont présents pour mettre « le cap sur les Antilles ». Le lancement de cette première Transat à la française est qualifié de véritable « triomphe », de « fresque grandiose devant les remparts de Saint-Malo »4. C’est Eric Tabarly, « depuis le ferry Armorique, qui a donné  le coup d’envoi de la course à midi ». Déjà à l’époque, le départ de la Route du Rhum prend des allures de parade maritime avec « des centaines de plaisanciers accompagn[ant] les skippers ». Un bal qui n’est « pas sans risque » puisque le bateau « Paul-Ricard du Baulois Marc Pajot [a été] victime d’un abordage avec un petit voilier qui lui a coupé la route ». De même, « le Brestois Riguidel a été victime d’une collision avec le ferry Armorique ».

Une fois les skippers en pleine mer, la course de la Route du Rhum quitte la une des journaux bretons. La course au large garde encore à l’époque – pour partie – le goût de l’épopée solitaire, loin de la connexion permanente via internet avec la terre que connaissent les skippers du XXIe siècle. Mais le 29 novembre, la Route du Rhum revient en pleine actualité, Ouest-France annonce que « Birch… au sprint » a gagné la course devant « Malinovski à une 1 minute 38 »5. En effet, comme le montre les images saisissantes des caméras de France 3 région, c’est à un véritable sprint, comme l’on en voit sur une étape du Tour de France cycliste, que l’on assiste entre le trimaran Olympus photo du Canadien Mike Birch et le monocoque Kriter V du Français Michel Malinovsky6. Ce dernier, au bout de 23 jours de courses, « a dû accepter, à deux kilomètres de l’arrivée, la supériorité de son rival. Rejoint, il a été contraint de laisser filer le petit trimaran jaune ».

Le futur vainqueur, Mike Birch, au départ de Saint-Malo. Wikicommons.

Mais, dès le lendemain, l’euphorie de l’arrivée laisse place à « l’inquiétude pour Colas et Palasset »7. Si Jacques Palasset parvient à rallier Point-à-Pitre au bout de 34 jours de mer, bon dernier ; en revanche, la vedette de la mer Alain Colas n’a plus donné de nouvelles à bord de son voilier Manureva depuis les Açores. Le quotidien breton se demande, dès le 2 décembre si « Alain Colas n’a-t-il pas trop présumé de ses forces ? »8. Le lendemain, 4 décembre, l’arrivée de Florence Arthaud, onzième au classement, « débarquant de son voilier, dans la nuit », « fatiguée et amaigrie » peine à éteindre l’angoisse9. Malgré les  recherches menées par l’armée, dans son édition de la Saint-Sylvestre 1978-1979, le quotidien breton avoue fataliste que « le pire devient vraisemblable » pour Alain Colas, pourtant « favori au départ de Saint-Malo ». Malgré l’espoir longtemps entretenu par la famille du skipper natif de la Nièvre, on n’a jamais retrouvé la moindre trace de  lui ni ne son navire.

Au final, la Route du Rhum 1978 aura oscillé entre l’épique du sprint final pour la victoire et le tragique de la disparition en mer de l’un des plus grands skippers de l’époque. Et c’est sans doute la conjonction de ces deux éléments qui ont fait de cette course transatlantique française une épreuve mythique, dès sa première édition.

Thomas PERRONO

 

 

 

1 INA. « Michel Etevenon va créer une course transatlantique française », Antenne 2, 13 décembre 1976, en ligne.

2 Ouest-France, 2 novembre 1978, p. 1.

3 Ouest-France, 4 et 5 novembre 1978,  p. 1.

4 Ouest-France, 6 novembre 1978, p. 1.

5 Ouest-France, 29 novembre 1978, p. 1.

6 INA. « Route du Rhum : arrivée Birch Malinovski », France 3 région, 8 décembre 1978, en ligne.

7 Ouest-France, 30 novembre 1978, p. 1.

8 Ouest-France, 2 et 3 décembre 1978, p. 1.

9 Ouest-France, 4 décembre 1978, p. 1.