De skipper à activiste : Eugène Riguidel

La voile, et plus encore la course au large, a ceci de particulier qu’elle se situe au croisement du sport et de l’aventure. Certes, avec les progrès de l’architecture navale et des facultés athlétiques des skippers, les courses les plus extrêmes comme le Vendée Globe se muent en régates autour du monde. Mais la part d’aventure demeure toujours là, comme aux temps héroïques des frères Rallier du Baty, d’Alain Gerbault ou de Jacques-Yves Le Toumelin. Néanmoins, pour Eugène Riguidel, les contraintes du sport professionnel sont trop insupportables et, au sommet de la gloire, il quitte ce monde de la course au large, abandonnant le sillage d’Eric Tabarly pour celui de Bernard Moitessier.

Eugène Riguidel pendant la Course de l'Aurore. Photographie publiée par Voiles & Voiliers en octobre 1975.

Pourtant rien ne le prédisposait à une telle carrière. Né le 24 novembre 1940 à Arradon, dans le Morbihan, Eugène Riguidel ne connaît pas son père. Marin de la marchande, celui-ci trouve en effet la mort à Mers-el-Kébir, lorsque l’aviation britannique bombarde la flotte française de peur qu’elle ne vienne renforcer celle d’Hitler. Faut-il voir dans ce drame familial la source des opinons politiques, à la fois régionalistes, internationalistes et libertaires de ce grand marin ?

Toujours est-il que dès le plus jeune âge Eugène Riguidel est attiré vers la mer. Il est vrai que le golfe du Morbihan constitue un magnifique terrain de jeu. C’est d’ailleurs là que, très tôt, il se rompt à l’art de la manœuvre et de la navigation. Peu assidu en classe, il ne peut prétendre suivre les pas de son père et entrer à son tour dans la marine marchande, ses résultats scolaires étant insuffisants. Il lui faut donc tracer une autre route, moins rectiligne, plus incertaine, mais bien évidemment maritime. Sa voie est d’abord celle des convoyages de voiliers pour les riches plaisanciers qui arpentent le golfe puis, chemin faisant, il devient équipier au fur et à mesure que se développe la course au large.

Rapidement, Eugène Riguidel mène ses propres navires de compétition. Avec les années 1970 son palmarès s’étoffe. En 1974, il remporte la Course de l’Aurore, actuelle Solitaire du Figaro : une épreuve individuelle alliant course au large et régate au contact. En 1979, il se révèle au grand public en battant l’icône Eric Tabarly lors de la Transat en double avec Gilles Gahinet. Le célèbre skipper des Pen Duicks était lui accompagné par Marc Pajot, un Baulois que l’on retrouvera à la tête de plusieurs « syndicats » français en lutte pour remporter la célèbre aiguière d’argent, la Coupe de l’América. Mais c’est un chemin résolument inverse qu’emprunte Riguidel : à la jauge stricte des monocoques, il préfère les premiers trimarans géants et  le fameux William Saurin, qu’il mène seul lors de la Route du Rhum 1982. Bien entendu le navire est extraordinairement exigeant sur le plan physique, surtout lorsqu’il faut le mener en solitaire. Pourtant, contre toute attente, ce sont les réalités de la vie à terre qui contraignent le Morbihannais à abandonner la course au large, las du star system, de devoir sans cesse batailler pour des budgets et partir à l’assaut de sponsors.

Le géant William Saurin. Photographie de presse.

Après son retrait de la compétition, Eugène Riguidel, qui bien entendu ne cesse nullement de naviguer, se jette dans de nouvelles aventures, à la fois entrepreneuriales, éthiques et politiques. C’est ainsi qu’il cofonde une ligne de vêtements de mer fabriqués en Bretagne. Mais là encore les réalités économiques le rattrapent rapidement et, refusant de délocaliser la production en Asie du Sud-est, l’entreprise ne tarde pas à fermer. Eugène Riguidel est en effet un citoyen engagé, qui met un point d’honneur à accorder ses actes et ses convictions, et on le retrouve dans de nombreux combats : pour l’environnement avec Greenpeace et Le Réseau sortir du nucléaire mais aussi pour le patrimoine et contre le projet de menhirland à Carnac. De même, on connait son militantisme assidu en faveur de l’identité culturelle et de la langue bretonne, combat qui s’incarne notamment dans un soutien sans faille aux écoles Diwan. De quoi consolider l’image de rebelle d’un homme en réalité épris de justice et de liberté, comme un écorché vif. Un portrait qui n’est d’ailleurs pas sans ressembler à celui du chanteur Renaud, lui qui contribua à le faire entrer dans le vocabulaire courant avec avec la célèbre chanson « Dès que le vent soufflera » : « Tabarly, Pageot / Kersauson ou Riguidel / Naviguent pas sur des cageots / Ni sur des poubelles ».

Erwan LE GALL