600 000 Résistants en ligne sur Mémoire des hommes

Précurseur en termes de mise en ligne d’archives, le Ministère des Armées, via son portail Mémoire des hommes, continue d’innover en proposant de nouvelles ressources aux internautes. Après le fichier des morts pour la France de la Grande Guerre, indexé grâce à l’entremise de l’équipe 1 jour 1 poilu, et les journaux des marches et opérations de la séquence 1914-1918, c’est au tour de la Seconde Guerre mondiale de bénéficier  des attentions du Service historique de la Défense. En effet, c’est une base de près de 600 000 noms de personnes dont les services furent homologués – ou instruits, nous y reviendrons – au titre de la Résistance qui est désormais interrogeable en quelques clics.

Carte postale commémorative. Collection particulière.

Ce nouvel outil, qui ne manquera pas de faire le plaisir de bien des personnes, qu’il s’agisse de chercheurs confirmés ou de simples curieux et généalogistes, trouvera à n’en pas douter son public. Il est vrai que les possibilités d’exploitation paraissent d’emblée importantes. Mais ces archives obligent toutefois à quelques précautions d’emploi, à commencer par leur localisation. En effet, chose curieuse, Mémoire des hommes n’indique pas en première page de son site cette nouvelle base de données et il faut passer par les onglets « Conflits et opérations » puis « Seconde Guerre mondiale » pour enfin pouvoir questionner le thésaurus. Gageons que ce cheminement n’est que temporaire et qu’un accès direct via la page d’accueil sera rapidement disponible.

L’interface est très simple d’utilisation et rappelle d’ailleurs celle des morts pour la France de la Première Guerre mondiale. Les deux archives ne sont du reste pas sans points communs et cette base de données exige un certain nombre de précautions d’emploi qu’il est bon de rappeler. Ainsi, cette liste de noms ne résulte pas de la Seconde Guerre mondiale elle-même mais des années suivant le 8 mai 1945. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une archive de la Résistance mais d’une base de données reflétant en définitive le travail des différentes administrations chargées d’authentifier les services rendus au service de cette dernière. Quand on sait que le droit en faveur des anciens combattant et victimes de guerre est essentiellement déclaratif, c’est-à-dire que c’est aux potentiels ayant-droits de faire eux-mêmes leur demande de reconnaissance, on mesure tout le caractère restrictif de la forclusion de l’instruction des dossiers de cartes de Combattant volontaire de la Résistance en 1959 – et non 1951 comme indiqué par erreur par Mémoire des hommes : le délai est porté jusqu’au 1er janvier 1959 par une sixième et dernière loi votée en 1957, le général de Gaulle revenu au pouvoir décidant lui-même de ne pas prolonger le dispositif1.

Là est d’ailleurs une subtilité d’une importance capitale, comme ont pu le souligner les débats historiographiques distinguant la « Résistance mouvement » de la « Résistance organisation ». Fondamentalement, ce qui est en jeu ici, ce sont bien les contours de l’armée des ombres et la réponse à l’épineuse question : « qui en est ? » et, plus délicat sans doute encore, « qui n’en est pas ? » Or, Laurent Douzou a montré il y a quelques années, et sans aucune contestation possible, que le fichier des titulaires de la carte de Combattants volontaires de la Résistance d’un département ne saurait constituer l’ombre portée de la clandestinité au sein de ce même espace. Les critères d’attribution sont en effet trop restrictifs pour que la copie puisse être jugée certifiée conforme2. Ce que cette base de données délivre est moins une géographie de la Résistance que des anciens combattants de la Résistance.

Carte d'adhérent de l'Association nationale des anciens combattants de la Résistance. Collection particulière.

C’est là une nuance sur laquelle il convient d’insister car l’essentiel de ces succinctes notices renvoient à de plus substantiels documents, à l’instar par exemple du fonds regroupant les 55 788 dossiers de déportés et internés résistants. Mémoire des hommes spécifie en effet bien que la liste mise en ligne « ne présume pas de [l]a qualité de résistant car le corpus contient l’ensemble des dossiers ouverts par les services, y compris ceux des individus qui, après examen, n’ont pas été reconnus ou homologués pour faits de Résistance ». Or, dans la mesure où c’est au requérant de fournir les preuves de son appartenance à la clandestinité, ce sont bien souvent les dossiers les plus minces, ceux qui doivent le plus montrer patte blanche afin d’être validés par l’administration, qui se révèlent être les plus riches. Aussi ne pouvons-nous qu’inciter les lecteurs d’En Envor qui interrogeraient cette base de données à se rendre à la Direction des archives des victimes des conflits contemporains à Caen, mais aussi dans les différents services départementaux d’archives pour y consulter les dossiers d’anciens combattants.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 WIEVIORKA, Olivier, « Les Avatars du statut de résistant en France (1945-1992), Vingtième Siècle, n°50, 1996, p. 64.

2 DOUZOU, Laurent, « La Résistance et le monde rural : entre histoire et mémoire », Ruralia revue de l’Association des ruralistes français, n°4, 1999, en ligne.