Des manuels pour les poilus !

Savoir que son aïeul porte l’uniforme de tel ou tel régiment d’infanterie pendant la Première Guerre mondiale ou qu’il effectue son service militaire dans telle ou telle unité lors de la Belle époque est une chose qui ravit de nombreux généalogistes. Mais savoir ce qu’il y fait précisément est encore plus stimulant ! Pour ce faire, rien de mieux que la consultation des manuels destinés aux conscrits et apprentis soldats, sources éminemment précieuses même si, comme d’habitude, certaines précautions d’usage s’imposent.

Au 48e régiment d'infanterie. Carte postale. Collection particulière.

Pour commencer, précisons que ces ouvrages se trouvent très facilement, tant sur les étals des bouquinistes que sur les rayonnages électroniques de Gallica, le gargantuesque portail internet de la Bibliothèque nationale de France, et qu’ils se déclinent en de multiples éditions couvrant très bien la période allant de 1873 – mise en place de la réforme militaire faisant suite à la défaite de 18701 – à 1939. De plus, ajoutons qu’il existe des ouvrages analogues concernant la cavalerie et l’artillerie, ce qui se révèle particulièrement pratique pour, par exemple, comprendre le fonctionnement d’une pièce de 75. Les manuels d’infanterie sont eux parfaits pour tout savoir du maniement et de l’entretien du fameux Lebel 1886.
De manière générale, ces archives sont l’outil idéal pour comprendre, de l’intérieur et par le bas, le fonctionnement de l’institution militaire. Inutile ici d’essayer de vouloir chercher à percer les secrets des arcanes des états-majors. C’est du quotidien des hommes du rang, des sous-officiers, à la rigueur des officiers de contact, dont il est question ici. Les manuels destinés aux gradés ainsi qu’aux candidats aux écoles de Saint-Maixent ou de Saint-Cyr sont d’une grande précision et les postulants aux galons connaissent par cœur les 1100 pages, et parfois plus, qui les composent ! Rien n’est laissé au hasard : des questions d’hygiène à la manière de saluer réglementairement en passant par la façon d’effectuer son paquetage, les devoirs du soldat en faction et, bien entendu, les exercices de tir et de préparation au combat. Certains manuels détaillent même les règles du football, association mais également rugby, les deux sports n’étant à l’époque pas encore totalement disjoints !

Précisons de surcroît que ces sujets sont développés suivant une logique stricte, dissociant l’éducation de l’instruction militaire. La Troisième République concevant la caserne dans le prolongement de l’école2, le service militaire n’est pas uniquement conçu comme un moment d’entraînement militaire mais également comme la fin du processus de forge de citoyen. Aussi le conscrit reçoit-il des enseignements relatifs à la discipline et à la solidarité (valeurs essentielles pour la cohésion des troupes), au rôle de l’armée dans la nation ou encore à l’histoire du régiment dont il porte l’uniforme, le rappel des hauts faits d’armes – plus ou moins mythifiés – jouant ici véritablement le rôle d’injonction à l’excellence.

Carte postale. Collection particulière.

Pour autant, quelques avertissements s’imposent. De la même manière que les manuels scolaires ne font pas la classe, il serait illusoire de croire que la vie dans les casernes, ou plus encore dans les tranchées, ressemble mot pour mot à ce qui est évoqué dans ces manuels. Ils exposent ce qui est réglementaire mais ne disent rien de ce qui ne l’est pas. Dès lors, tout dépend du caractère du supérieur hiérarchique de votre aïeul et de son aptitude à se montrer plus ou moins rigoureux sur l’exécution des règlements, un élément qui par ailleurs ne transparait qu’assez rarement dans les archives. De plus, ces ouvrages décrivent la plupart du temps les objectifs à atteindre par le conscrit ou le mobilisé en train de faire ses classes. Ils n’évoquent jamais les moyens à mobiliser pour y arriver, ceux-ci étant laissés à la discrétion des instructeurs. En d’autres termes, la pédagogie militaire peut se révéler bien différente d’une compagnie à une autre3. Mais là n’est pas une raison suffisante pour ignorer ces manuels qui se révèlent être une source aussi instructive que passionnante !

Erwan LE GALL

 

 

 

1 Sur ce point, voir l’ouvrage désormais classique de CHANET, Jean-François, Vers l’Armée nouvelle, République conservatrice et réforme militaire, 1871-1879, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006. 

2 BONIFACE, Xavier, L’Armée, l’Eglise et la République (1879-1914), Paris, Nouveau monde éditions, 2012, p. 314.

3 Pour de plus amples développements, on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014.