Faut-il faire entrer l’accusé ?
Que ce soit sur internet, à la radio ou à la télévision, il est difficile d’échapper à l’omniprésence des faits divers. Le moins que l’on puisse affirmer, c’est que cette passion partagée par de nombreux Français n’est pas nouvelle, bien au contraire. En effet, bien avant les discours passionnés des Christophe Hondelatte ou Jacques Pradel, la presse écrite s’était déjà approprié cette thématique avec un goût parfois aussi douteux que celui de leurs homologues contemporains. Pourtant, bien qu’il ne faille pas trop en attendre, ces médias spécialisés demeurent une source véritablement sensationnelle et qui mérite, à plus d’un titre, d’être examinée.
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Carte postale satirique évoquant l’un des plus célèbres faits divers du XXe siècle, l’affaire Caillaux. Collection particulière. |
Avant 1914, de nombreux journaux consacrés aux faits divers voient le jour en France. Parmi ceux-ci, on retrouve Le Crime illustré, Les Drames illustrés ou encore Les faits divers illustrés.... Il faut dire que les rédactions disposent d’une matière première quasi-inépuisable puisque les faits divers concernent aussi bien les crimes, élucidés ou non, que l’ensemble des accidents du quotidien pourvus qu’ils soient spectaculaires. Un numéro de l’hebdomadaire parisien L’œil de la police, daté de 1913, nous montre bien le large panel d’affaires qui y sont abordées. A la troisième page, le journal nous signale ainsi un terrible drame qui s’est déroulé à Brest. Un garçon de café, qui « venait de faire l’acquisition d’une canne-fusil », s’empresse de montrer son acquisition à un ami. Ce dernier, « croyant que la canne-fusil n’était pas chargée, pressa la détente », tuant à bout portant le propriétaire de l’arme1. Quelques lignes plus loin, l’hebdomadaire évoque cette fois un accident de la route durant lequel une jeune femme « passa sous les roues » de la voiture du propriétaire d’une villa de Douarnenez. Comble du mauvais goût, la scène est illustrée par un dessin reproduisant l’effroyable drame. Mais la mort n’est cependant pas toujours systématique, comme en témoigne cet encart de La Semaine illustrée évoquant ces deux « marins en goguette » qui, en 1912, molestent un débitant nantais après que ce dernier leur refusa de les « servir à nouveau »2. Chronique d’une violence ordinaire..?
Rien n’est moins certain tant ces archives posent de multiples problèmes. A l’époque, la pratique du « découpage-collage » étant encore très courante, ces différentes brèves ne sont bien souvent que la reproduction – parfois in extenso – de celles que l’on retrouve aisément dans la presse locale3. N’apportant aucune plus-value, cette source de « seconde main » produite au kilomètre est d’autant plus problématique qu’elle n’est pas soumise à un travail rigoureux de vérification de l’information (quand il ne s’agit pas de déformation pure et simple…). Ainsi, dans les trois affaires précitées, on ne retrouve ni date, ni nom, ce qui rend tout de même assez difficile le croisement des sources, aussi bien avec la presse généraliste qu’avec les archives judiciaires.
La presse de faits divers de l’entre-deux-guerres n’est, elle aussi, pas sans tendre un certain nombre de pièges. Grâce au perfectionnement de la photographie, le photoreportage permet de renouveler le genre. Si la recherche dans ces journaux n’en demeure pas moins aléatoire, elle révèle parfois de très intéressantes affaires. Distribué à plus de 250 0000 exemplaires par Gallimard, le magazine Détective lance par exemple une véritable bombe médiatique dans son numéro du 1er septembre 1938 en « demand[ant] une enquête sur les morts suspectes » de l’hôpital de Bodélio à Lorient4. Quatre pages sont consacrées au scandale, publiant à l’appui témoignages et photographies. Mais, localement, les journalistes réagissent vivement contre cette presse sensationnaliste qui cherche davantage à provoquer qu’à enquêter5.
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Carte postale satirique évoquant l’un des plus célèbres faits divers du XXe siècle, l’affaire Caillaux. Collection particulière. |
La fiabilité de ces journaux spécialisés laisse en effet à désirer et il semble plus qu’hasardeux de tirer la moindre conclusion sur la base de ces seuls documents. En d’autres termes, on aura beau faire entrer l’accusé, on sera bien en peine de le déclarer coupable ou non avec ces documents. Mais ces archives demeurent en revanche une source exceptionnelle pour étudier la société contemporaine. En effet, c’est moins du point de vue de l’histoire des faits divers eux-mêmes que des discours et représentations mentales entourant la criminalité que ces archives sont précieuses.
Yves-Marie EVANNO
1 « Les faits-divers de la semaine », L’œil de la police, 1913, 6e année, n°248, p. 3.
2 « Les faits divers de la semaine », La semaine illustrée, 1912, 2e année, n°15, p. 3.
Voir par exemple, sur ce point, GONO, Laëtitia, Le fait divers criminel dans la presse quotidienne française du XIXe siècle, Paris, PSN, 2012.
4 « Détective demande une enquête sur les morts suspectes de Lorient », Détective, 1er septembre 1938, p. 1-5.
5 « A propos des morts suspectes de Bodélio », L’Ouest Républicain, 8 septembre 1938, p. 5. |