Le Tour de la question ?

Le Tour de France cycliste est un monument national qui, chaque année, expose dans le monde entier la richesse des paysages français. Véritable promoteur touristique, l’épreuve est également un excellent professeur de géographie. Jeune élève dans les années 1950, l’académicien Erik Orsenna assure qu’aucun enseignant « ne [lui] a apporté autant, et aussi bien enseigné, la miraculeuse diversité de notre France »1. Mais l’intérêt de cette épreuve n’est pas seulement patrimonial, il est avant tout sportif. Ainsi, dans une région comme la Bretagne où le cyclisme est extrêmement populaire, une vague d’enthousiasme accompagne la découverte du tracé de chaque nouvelle édition. Pourtant, le 15 janvier 1958, malgré la satisfaction de voir apparaître plusieurs villes bretonnes (Saint-Brieuc, Brest, Châteaulin, Quimper et Saint-Nazaire), Roger Cornet dresse pour Ouest-France un bilan mitigé du parcours qui verra s’affronter les meilleurs coureurs de la planète lors du mois de juillet suivnant2.

La caravana publicitaire du Tour de France 1958. Wiicommons.

Le journaliste est en effet sceptique. Il s’inquiète de l’avenir « assez sombre » qui menace « le Tour de France et l’ensemble des classiques ». Son pessimisme fait suite à une déclaration récente de Félix Lévitan, co-organisateur du Tour de France, dans Le Miroir des Sports. Il assure notamment que « la course coûte cher et ne rapporte rien » et que les « journaux organisateurs [L’Equipe et Le Parisien Libéré] sont las d’être les dupes de leurs concurrents ». A cela s’ajoute le fait que de nombreuses communes refusent de verser « des subventions » pour faire venir l’épreuve. En raison de ces difficultés financières, les organisateurs proposent un parcours au « visage très métamorphosé par rapport à celui des années passées ». Pour augmenter les recettes, ils décident d’augmenter le nombre d’étapes afin de multiplier le nombre de villes hôtes, ce qui conduit à la suppression des journées de repos.

Les organisateurs doivent également faire face à une deuxième contrainte : la difficulté de l’épreuve. En effet, depuis 1952, la presse s’empare progressivement de la question du « doping ». Trois ans plus tard, en 1955, le Breton Jean Malléjac est le premier coureur à être exclu de l’épreuve après avoir consommé des amphétamines. Or, en se privant des deux journées de repos, les organisateurs décident non seulement de réduire le kilométrage des étapes, mais également de procéder à « un escamotage partiel des Pyrénées ». Roger Cornet regrette alors que « le Tour renonce à son caractère de forçat de la route ». Selon lui, l’épreuve est tracée pour des « lévriers » qui ne manqueront pas de battre des records de vitesse.

Pourtant, le journaliste voit des motifs de satisfaction. Le parcours semble en effet convenir à l’idole des Bretons : Louison Bobet. Le séduisant coureur, triple vainqueur de l’épreuve, n’est pas revenu sur la Grande Boucle depuis son succès en 1955. Tous les Français rêvent de le voir être associé en équipe de France au vainqueur sortant, Jacques Anquetil. En dépit de la logique sportive, le public breton fait rapidement son choix entre le régional et son rival normand. Roger Cornet les rassure de ce point de vue. S’il concède qu’en raison des étapes contre la montre « le parcours 58 offre des garanties sérieuses » à Jacques Anquetil, il affirme que « les étapes alpestres sont plus à la mesure » de Louison Bobet.

Charly Gaul sur le mont Ventoux, lors du Tour de France 1958. Carte postale, collection particulière.

Malgré les connaissances pointues du journaliste, son analyse sportive se heurte aux aléas de la course et à la motivation des sportifs. Six mois plus tard, la mésentente règne entre les deux hommes. Pire, aucun ne parvient à jouer les premiers rôles. Jacques Anquetil abandonne finalement avant Paris, laissant seul Louison Bobet qui, épuisé par son Tour d’Italie, accroche une modeste septième place.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

 

 

1 L'Equipe magazine, 5 juillet 2003, référence citée dans CONORD, Fabien, Le Tour de France à l'heure nationale, Paris, Presses Universitaires de France, 2014, p. 78.

2 CORET, Roger, « Le Tour de France 58 construit pour les lévriers », Ouest-France, 15 janvier 1958, p. 12.