Les Folliards père et fils : tout pour le football… et le stade rennais
Au début du XXe siècle, la notion de conflit d’intérêts n’existe pas et on peut voir un même homme, Louis Brichaux, exercer la profession d’importateur de charbon à Saint-Nazaire tout en étant maire et dirigeant du port de cette même ville sans que personne n’y trouve à redire1. Là n’est d’ailleurs pas un cas unique et c’est, dans un tout autre domaine puisqu’il s’agit de football, ce qu’illustre, à Rennes, l’exemple des Folliard, Ernest et son fils, Ernest-Joseph2. Dirigeants de club mais aussi hommes de presse et patrons de fédération, ils cumulent les fonctions sans susciter la moindre critique.
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Carte postale. Collection particulière. |
Si un tel mélange des genres ne doit rien au hasard, nous le verrons plus loin, force est toutefois de concéder qu’il n’est pas à la portée de tout le monde. Ernest Folliard père n’est en effet pas n’importe qui : riche négociant rennais, il compte parmi les membres de cette bourgeoisie d’affaires multipliant les contacts avec l’étranger et notamment la Grande-Bretagne. Parlant couramment anglais, ayant épousé de surcroît une femme née à San Francisco, il baigne dans cette culture britannique dont on sait qu’elle accorde très tôt une large place au sport. Rejoignant le Stade rennais université club (SRUC) en 1904, il en prend la présidence cinq ans plus tard et ce jusqu’en 1916. Sous sa présidence, les rouges et noirs quittent notamment l’antique terrain de la Mabilais pour le Parc des sports de la route de Lorient, cette même enceinte qu’il sera impossible d’agrandir pendant la Seconde Guerre mondiale faute de… béton et qui accueille toujours, depuis 2015 sous le nom de Roazhon Park, les exploits stadistes.
Ernest-Joseph Folliard nous est quant à lui connu par les initiales « E. F. » ou « E. J. F. » par lesquelles il signe les nombreux articles qu’il publie, de 1914 à 1920, dans « La vie sportive », rubrique du grand quotidien rennais L’Ouest-Eclair. Joueur au début des années 1910 dans la deuxième équipe du SRUC, il devient le trésorier puis le secrétaire du club. Ajoutons que si Ernest Folliard père ne signe aucun article en son nom propre dans les colonnes de L’Ouest-Eclair, les pages du journal lui sont toutefois largement ouvertes et publient d’ailleurs à plusieurs reprises quelques-uns de ses courriers pour se plaindre de tel ou tel arbitre ou justifier un choix tactique… Bien entendu, le mélange des genres n’est pas sans incidences sur la pratique journalistique et l’on ne s’étonnera pas de voir, sous la plume d’Ernest-Joseph Folliard, le Stade rennais université club occuper le haut du pavé dans les colonnes de L’Ouest-Eclair. Certes, le club remporte en 1916 la Coupe des alliés mais avant-guerre il n’est assurément pas le plus performant de Bretagne : à l’époque, c’est l’Union sportive servannaise qui truste les victoires et fait figure de locomotive du football breton…
Parallèlement à ces activités déjà pour le moins concordantes, Ernest et Ernest-Joseph Folliard participent à la structuration de leur sport en s’investissant dans certaines instances dirigeantes. Le père fonde ainsi en 1918 la Ligue de l’ouest de football-association, entité dont le fils est secrétaire général jusqu’au 20 février 1920, date de son décès, vraisemblablement des suites de la tuberculose. Homme de réseau, il est également assesseur au sein du Comité de Bretagne de l’Union des sociétés françaises des sports athlétiques. Tous deux plaident pour une organisation décentrée et surtout non-professionnelle de la pratique sportive. S’ils ont pu apparaître à certains égards « anti-parisiens »3, leur patriotisme ne fait pour autant pas l’ombre d’un doute : en témoigne notamment la célèbre rubrique « Les sportsmen au feu » tenue dans L’Ouest-Eclair pendant la Première Guerre mondiale qui détaille les exploits des athlètes au front et tient la nécrologie détaillée des champions morts pour la France.
Les engagements d’Ernest et Ernest-Joseph Folliard contrastent donc singulièrement avec les pratiques que l’on observe à partir de la fin de la seconde moitié du XXe siècle. Pour rester dans l’exemple du football, on pourrait ainsi évoquer le cas de Pascal Praud qui, en 2008, abandonne le micro de « Téléfoot », émission emblématique de TF1, qu’il tenait depuis 20 ans pour prendre la direction de son club de cœur, le FC Nantes. De même, lorsqu’il est élu à la tête de la Fédération française de football en juin 2011, Noël Le Graët abandonne la présidence de l’En Avant de Guingamp (ce à quoi les supporters rennais rétorqueront que cela n’avait pas été le cas auparavant, quand le même Noël Le Graët était vice-président de cette même Fédération, mais c’est là un tout autre débat!). Pour autant, les Folliard père et fils évoluent dans un contexte bien différent de celui que connaissent Pascal Praud et Noël Le Graët. Au début du XXe siècle, la pratique sportive n’est pas institutionnalisée comme elle l’est aujourd’hui et, pour tout dire, ne va pas nécessairement de soi. Jouer au football, mais aussi diriger un club ou rendre compte de matchs dans les colonnes d’un quotidien, participent alors d'un véritable engagement au service de ce sport, comme le rappelle d’ailleurs le parcours d’un autre dirigeant emblématique du Stade rennais université club : Marcel Landegren. Et cette engagement justifie bien cette singulière confusion des genres…
Erwan LE GALL
1 Pour de plus amples développements, se rapporter à LE GALL, Erwan, Saint-Nazaire, les Américains et la guerre totale (1917-1919), Bruz, Editions CODEX, 2018.
2 Pour de plus amples développements se rapporter notamment à DIETSCHY, Paul et TETARD, Philippe, « L’Ouest-Eclair, la guerre et le sport (1914-1919) », in ROBENE, Luc (dir.), Le sport et la guerre (XIXe-XXe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 136 et suivantes ; CROIX, Pierre-Yves, « Une nouvelle actualité : le sport », in LAGREE, Michel, HARISMENDY, Patrick, DENIS, Michel (dir.), L’Ouest-Eclair. Naissance et essor d’un grand quotidien régional, 1899-1939, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000, p. 157-168. En ligne, on renverra également au très documenté article publié sur stade-rennais-online.com.
3 On retrouve l’expression sous la plume de DIETSCHY, Paul et TETARD, Philippe, « L’Ouest-Eclair, la guerre et le sport… », art. cit., p. 136.
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